Rébecca Chaillon : La politique de la viande crue
PORTRAIT D'UNE « VIANDOPHILE » ASSUMÉE

Alors que les « études décoloniales » commencent à percer en France (non sans oppositions), Calixto Neto reprend le solo de Luiz de Abreu O Samba do Crioulo Doido, vingt ans après sa création. Une revue aussi efficace que brutale des clichés qui continuent de coller à la peau des corps noirs, admirés pour leurs performances physiques et sexuelles ou ravalés à la sauvagerie.

Au Ballet de l’Opéra du Rhin, Martin Chaix fait un sort aux tutus dans un Giselle qu’il a voulu féministe, où des vampiresses queer cassent du mâle toxique. Jouissive quoique simpliste, cette réécriture a le mérite de revisiter au présent la grammaire de la danse classique.

Dans Hartqāt, le couple de metteurs en scène Lina Majdalanie et Rabih Mroué sondent l’histoire traumatique de leur pays, le Liban, à travers les textes de trois auteurs d’âges, de styles et de parcours variés. Dans des styles distincts, chacun s’élance d’un empêchement à dire, principe souterrain de la pièce.

Sursauts, fous rires, frissons et grosses frayeurs : on fréquente les fêtes foraines pour les émotions fortes. Les attractions sont tenues de fonctionner, c’est-à-dire de nous faire vivre exactement ce qu’on attend d’elles. Mais quand ces dernières sont des œuvres d’art, il se passe parfois tout autre chose. Et c’est justement parce qu’on ne réussit pas à les activer qu’elles touchent dans le mille. Coincé dans Arcade sentimentale (1. You) de Tsirihaka Harrivel, récit tragi-comique d’un échec réussi.

Au T2G, Jonathan Capdevielle remet en scène son tube Saga (créé en 2015), hallucination autobiographique nourrie de ses souvenirs de jeunesse occitane. Rencontre avec celui qu’on appelait « Jojo », et deviendra l’interprète-phare de Gisèle Vienne.

Immersion dans la forêt géologique du plateau du Tassili n’Ajjer à la frontière algéro-libyenne et ses milliers de peintures rupestres. À la fondation Louis Vuitton, le film de Lydia Ourahmane explore les confins de ce paysage lunaire inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Habituée à mettre en scène ses archives familiales, l'artiste propose cette fois-ci une plongée hallucinatoire en HD dans les vestiges de la préhistoire. On en oublierait presque que la région est ultra-militarisée. Contourner la loi devient un geste artistique pour la londonienne qui nous invite à penser « hors-champ ».

Le déclencheur peut venir d’une figure mythologique de second plan, d’une lecture qui bouleverse sans prévenir ou d’une blague entre amis qui va trop loin. La metteuse en scène Jeanne Candel construit ses spectacles à l’intuition et en rebondissant d’une œuvre à l’autre. Avec sa compagnie La Vie brève, elle présente au Tandem sa dernière création Baùbo : « une passion d’aujourd’hui où musique et théâtre s’entrelacent ».

Beaubourg, CAPC : à l’heure des anniversaires et des rénovations, les mastodontes de l’art passent leur examen de conscience. Le Palais de Tokyo fait le sien en plongeant dans l'historique de ses murs, marqués par une série de transformations et de possibles traumas depuis sa construction en 1937. La première étape de ce Grand Désenvoûtement (une exposition et plusieurs rendez-vous jusqu’au 18 décembre), mobilise sociologie, psychothérapie institutionnelle et rituels curatifs, à l’initiative de son nouveau directeur Guillaume Désanges. Qui sont alors les fantômes du Palais, équipement public encore atypique dans le paysage culturel ?

Guerres, exils, faillites en tout genre : les tragédies humaines semblent vouées à un éternel retour. Comment ne pas céder au nihilisme ? Avec son Théâtre du silence, Djamel Tatah met en scène plus de trente ans de peintures et autant de personnages qui imposent une présence muette et énigmatique, comme un rempart paradoxal à l’absurdité de l’existence.

Les Français passeraient en moyenne un tiers de leur vie devant un écran, selon une étude de l’application NordVPN. Au Fresnoy – Studio national des arts contemporains, l’exposition Panorama 24 – L’autre côté sonde la part obscure de ces interfaces, façonnant un portrait de l’humanité contemporaine.

Myriam Mihindou convoque l’eau, le végétal ou encore le minéral pour mettre au jour les connexions de consciences qui les lient. Avec Epiderme, dernier volet du cycle d'exposition Matières à panser à la fondation d'entreprise Hermès, l’artiste et chercheuse franco-gabonaise fabrique un espace sensoriel du sol au mur, en écho avec le ciel de La Verrière, laissant ses œuvres exister pour elles-mêmes, vieillir et finir.

Anonymes ou célébrités, les individus à la sensualité brute que peint Alice Neel font partie d’une Amérique qui s'étire de la Grande Dépression aux Trente Glorieuses, et qui, visiblement, n’épargne personne. Un regard engagé, la rétrospective que le Centre Pompidou lui consacre, révèle la vie et l’œuvre de cette grande peintre (1900-1984), longtemps boudée par l’histoire de l’art.

Faut-il faire le deuil des récits d’espoir au prétexte que l’avenir s’annonce sombre ? Les artistes de Shéhérazade la nuit font un détour par des fictions débordantes d’imaginations pour en revenir au réel avec un regain d’énergies activistes.

Entrer dans une danse éternelle ou regarder des rêves comme un cartoon : la troisième édition de la Biennale des imaginaires numériques qui a pour thème « la nuit » met la Belgique à l’honneur. Un pays marqué par l’imaginaire surréaliste de Magritte, les cinédanses d’un Thierry De Mey ou les performances de pionniers du hip-hop comme le groupe Benny-B. Dans ce terrain propice à l’hybridation, les « arts numériques » s’affirment comme une discipline à part entière. Tour d’horizon de quelques œuvres retenues par Mathieu Vabre, le directeur artistique, de Marseille à Aix.
Lars Vilks, le diable de Suède
ENQUÊTE AU PAYS DES LADONIENS
MILO RAU : « DIRE "ANTONIN ARTAUD" SUR SCENE EST UN EXTREMISME PETIT-BOURGEOIS »
ENTRETIEN AUX LIMITES DU THÉÂTRE

Avec Les Enfants terribles de Jean Cocteau en toile de fond, Phia Ménard pose une relation frère/sœur toxique et juvénile dans le contexte très actuel d’un établissement pour personnes âgées. Malgré la promesse apparente d’un tableau social ancré dans notre présent, cette abondante création peine à faire co-exister intrigue épique et partition hypnotique.

La fildefériste Marie Molliens avait prévenu : sa mise en scène de sortie du CNAC (Centre National des Arts du Cirque) marquerait un retour aux codes du cirque traditionnel. Avec une clique de Pierrot lunaires coincés dans un dilemme mussolinien entre art festif et réflexion poétique, BALESTRA tient de toute évidence ses promesses.

Fidèle à l’attention qu’il porte à ses contemporains, le metteur en scène Joël Pommerat mêle dans Contes et légendes hyper-réalisme et feinte technologique. Le tout pour dresser le tableau acerbe des relations humaines dans les sociétés sur-connectées.

Vous avez sans doute déjà croisé les femmes nues de l’artiste afghane Kubra Khademi, longs cheveux noirs, peau ocre, un léger sourire flottant aux lèvres. Dans ses dessins, souvent, les unes en cachent d’autres. Qu’elles se tiennent en ligne, telle une armée silencieuse qui ne dit pas son nom (sur l’affiche 2022 du Festival d’Avignon) ou se confondent dans de joyeuses scènes de plaisir collectif lesbien (dans l’exposition Habibi à l’Institut du monde arabe), elles font front, sans drapeaux ni slogans, tendues vers un autre monde.

Comment raconter une histoire dont le personnage principal est condamné au sommeil éternel ? Prenant cet impossible à bras-le-corps, le chorégraphe Marcos Mauro ne propose pas seulement une relecture éblouissante de La Belle au bois dormant de Tchaïkovski, il remet en cause « l’individu-centrisme » de nos récits. Célébrant le collectif, il offre au Ballet de l’Opéra de Lyon un rôle à sa mesure.

À la Ferme du Buisson, le détour par la sculpture contemporaine permet de faire ressurgir l’histoire, intime, visuelle et politique, de luttes antillaises trop souvent oubliées.

Alors qu’une partie de la scène politique française s’accroche plus que jamais aux images nostalgiques du passé, le metteur en scène Julien Gosselin exacerbe les affres propres à cette temporalité à jamais perdue. Deuils indépassables, culpabilités obsédantes et impossibles oublis dessinent la trame de sa nouvelle création inspirée des écrits de l’écrivain russe Leonid Andreïev.

A l’affiche au Maillon, le spectacle Les Forteresses est construit à la façon d’un tableau impressionniste : par petites touches successives, des récits de femmes iraniennes y tissent la trame d’une fresque contemporaine reliant Révolution iranienne et exils européens. Rencontre avec son auteur et metteur en scène, Gurshad Shaheman.

Quoi de mieux, pour comprendre les monuments du patrimoine national, que d’emprunter les petites portes à la dérobée ? Avec les fondations de l’Union européenne en ligne de mire, Émilie Rousset lance une enquête musicologique en lecture aléatoire.

Hennissement mis à part, l’entité informelle menée haut les sabots par Lou Chrétien-Février ne recule devant aucun saut d’obstacle pour relancer les machines du désir. Par une écriture de plateau qui n’en rate pas une, Le Cheval de la vie insuffle un peu de panache dans l’asphyxie ambiante.

Protestations, célébrations, conflits, concerts… Durant dix ans Joanne Leighton a récolté près d’un millier de photographies pour tenter de capter l’essence d’un rassemblement humain. De ce travail est né People United, une pièce pensée comme un album photo vivant qui vient clore sa trilogie chorégraphique sur les mouvements universels.

Dans la tradition afro-brésilienne les « encantados » sont ces êtres dont la présence rend sacrés les milieux naturels. Pour sa dernière création, la chorégraphe Lia Rodrigues et onze danseurs de sa troupe de Maré, une favela de Rio de Janeiro, se glissent dans la peau de ces entités mystiques, joueuses et joyeuses, grâce au pouvoir quasi magique de la musique.

Et vous, à quoi ressemblerait votre dernière soirée si vous deviez vous pendre à la fin ? Milo Rau pose la question avec sa dernière création, Familie, dans laquelle un couple de comédiens et leurs filles rejouent un suicide familial réel et inexpliqué. Une mort violente mais tout aussi « moyenne » que la classe majoritaire en Europe du Nord.
Norvège Tabloïd
QUAND L'EXTRÊME-DROITE MINE LA SCÈNE EXPÉRIMENTALE NORVÉGIENNE
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