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Maxi épaulettes, torse bombé, carrure athlétique. Sur les écrans suspendus au plafond de la fondation Cartier, Matthew Barney apparaît magnifié dans la peau d’un footballeur américain, accompagné de cinq autres performeurs, issus du krump, du hip-hop et de l’art contemporain. On est loin du personnage dérangeant du « Cremaster Cycle », cette série de vidéos-performances qui a fait sa réputation de trublion baroque à la fin des années 1990. Avec Secondary, l’artiste né en 1967 la joue à l’hollywoodienne : du grand spectacle et beaucoup d’émotions, du sport et de l’adrénaline. Un format accrocheur qui tombe à pic 14 jours avant le début des Jeux Olympiques.

 

Matthew Barney, SECONDARY, 2023 © Matthew Barney. Photographie de production : Julieta Cervantes. Courtesy de l’artiste, Gladstone Gallery, Sadie Coles HQ, Regen Projectset Galerie Max Hetzler

 

 



American dream


En pénétrant dans le vaste cube en verre transparent de la fondation, une impression de vide. Un simple tapis rouge occupe la surface au sol, tufté de deux triangles qui se rencontrent en un point bien précis : l’endroit de l’accident. Il faut lever la tête pour en savoir plus. Cinq écrans sont suspendus, à la manière des affichages géants qui rediffusent en direct ce qui se joue dans les stades. Le film nous transporte dans le studio de Matthew Barney, en plein Queens new-yorkais, à la cime des gratte-ciels. C’est là, dans ce grand entrepôt, qu’il revisite de façon chorégraphique, le drame du 12 août 1978, quand Jack Tatum, défenseur des Raiders, percute à pleine vitesse Darryl Stingley, receveur des Raiders, élancé dans les airs pour rattraper une passe. Ce dernier s’écrase, ne se relève pas. Il deviendra tétraplégique.


Cet instant décisif, réinterprété par deux performeurs, fait l’objet d’une grande attention dans la vidéo de Matthew Barney : arrêt de l’image. Le logo de l’artiste s’affiche : un orifice barré (le corps nié ? les interdits de la masculinité ?). Puis, la collision est rejouée plusieurs fois, au ralenti. La voir une, deux, trois fois. Une sculpture molle est ajoutée entre les deux joueurs qui absorbent le choc (référence au stickum, cette glu que les footballeurs mettaient sur leur main pour mieux capter le ballon), les corps deviennent baveux : du mou au moment le plus dur. Le mythe de la montagne de muscle invulnérable commence à fondre, avec lui, celui d’une certaine masculinité.



Matthew Barney, SECONDARY, 2023 © Matthew Barney. Photographie de production : Julieta Cervantes. Courtesy de l’artiste, Gladstone Gallery, Sadie Coles HQ, Regen Projects

et Galerie Max Hetzler




Artiste hypertrophique 


« On nous avait rangés en deux files indiennes, le premier de chaque file faisant face à son vis-à-vis puis on nous avait demandé de courir vers notre adversaire et de percuter son casque avec le nôtre », se souvient Matthew Barney qui a pratiqué ce sport jusqu’à la vingtaine, avant de nuancer son souvenir en évoquant les récentes recherches médicales sur les traumatismes crâniens à répétitions endurées par les sportifs. Pourquoi cette œuvre, maintenant ? Au-delà de la performance, il faut y voir un retour autobiographique sur ses débuts, une interrogation sur son passé. L’artiste-athlète diffuse au sous-sol de l’exposition des vidéos de jeunesse, en noir et blanc sur de vieux téléviseurs à tube cathodique : sautant pour griffer le plafond du bout de son crayon ou s’essayant au soulevé de terre, il soumet son corps à des contraintes physiques pour créer. Dépassement de soi, performance, discipline, Matthew fait le parallèle entre pratique sportive et artistique, lui qui s’est sûrement forgé un mental d’acier pour en arriver là.


Il y a de quoi être impressionné par l’envergure de la production de Secondary : une mise en scène efficace, une scénographie pointue, des danseurs hypertrophiés. Le Franciscanais joue avec les codes du divertissement populaire – des footballeurs-zombies apparaissent même furtivement dans la vidéo –, et c’est globalement réussi, quoiqu’au détriment d’une critique plus approfondie des enjeux. Réalisée avec moins de moyens, Drawing Restraint 27 attire davantage notre attention : au sous-sol de la fondation, quelques jours avant l’ouverture de l’exposition, Raphael Xavier (le danseur qui joue Tatum), est filmé seul dans le white cube. L’espace d’un instant, le joueur devient une bête d’instinct, se rue sur les murs, y plaque de faux haltères en argile crue qui ramollissent dans ses bras. Encore une fois, le mou au lieu du dur, la vulnérabilité à l’endroit l’invincibilité, le corps cassable à la place de l’intouchable.



Secondary de Matthew Barney, du 8 juin au 8 septembre à la Fondation Cartier, Paris