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Il y a des pièces dont on se souvient de tout, non qu’elles soient inoubliables, mais on croirait pouvoir les reproduire ou se les réciter par cœur, comme un petit poème en vers, suffisamment court et bien fait pour qu’il reste en mémoire. El Adaptador est de celles-là. Duo désinvolte et bancal entre l’Italien Marco Berrettini et la Suisse Milena Keller, il finit pourtant par fonctionner comme sur des roulettes, à l’image des deux valises qui accompagnent ces chorégraphes en voyage.


Sur le plateau, des câbles électriques dessinent un labyrinthe circulaire. Côté ambiance, c’est soirée hispanique. Milena Keller et Marco Berrettini ont revêtu les habits de lumières des toreros. Aux murs, des drapeaux espagnols, dans les enceintes, castagnettes et flamenco. Avec une telle superposition de clichés, on a moins l’impression d’être en Espagne qu’à l’aéroport de Madrid ou Barcelone, face à deux vacanciers qui tournent en rond en achetant des souvenirs avant leur vol retour.


El Adaptador est une pièce délibérément low-cost et anecdotique. Marco Berrettini s’en excuse d’emblée, à coup de jeux de mots ridicules – il se dit « dés…Olé ! » Les sujets que le duo semble vouloir aborder — le genre, les privilèges, le pouvoir, la différence d’âge, la différence tout court — sont à peine ébauchés. Tout est sous-investi, tout manque d’ambition, mais c’est le parti pris. Milena et Marco restent à la surface, voire à l’aéroport, dans le duty-free des débats de société. Pour éviter de se blesser, de s’offenser. Ils se regardent du coin de l’œil, esquissent des pas de danse l’un vers l’autre, et quand ils sont en chœur, ça ne dure jamais très longtemps. Comme s’il était vain, voire dangereux, de chercher une concorde. Adaptador plutôt que matador. Ne surtout pas prendre le taureau par les cornes.



© Dorothée Thébert Filliger



La performance est prise dans un voile d’à quoi bon et de flemme de saisir les problématiques contemporaines, et c’est dans cette désinvolture plastique que se situe son intérêt. El adaptador est un spectacle à basse intensité dans lequel l’improbable tandem évite de raviver un conflit dont on pressent qu’il vient d’avoir lieu ou qu’il pourrait ressurgir à chaque instant. Évidemment, Marco Berrettini, tout juste conscient de ses privilèges, ne peut s’empêcher de retirer à Milena Keller sa guitare pour une plus petite après un faux solo virtuose, son moment de gloire. Aux deux tiers de la pièce, la performeuse commence déjà à remballer ses câbles, pas certaine de vouloir s’adapter plus longtemps.


La scéno tient d’ailleurs probablement dans ces deux valises accessoires, abandonnées telles des taureaux dans un pré, auxquels les toreros auraient laissé un peu de répit. Et, justement, El Adaptador a quelque chose de reposant. Milena Keller et Marco Berrettini font le choix de ne pas se battre, qu’importe leur alchimie. Et si celle-ci n’advient pas, quelque chose émergera de son absence. En fin de compte, c’est comme être d’accord sur le fait de n’être pas d’accord.


El adaptador de Milena Keller et Marco Berrettini a été présenté les 1 et 2 février dans le cadre du festival Faits d’Hiver et du Centre Culturel Suisse On Tour à Micadanses, Paris


-> du 14 au 27 mars au Grütli, Genève


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