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Bluish de Milena Czernovsky & Lilith Kraxner


D’un minimalisme post-bressonien très white cube-compatible, Bluish dresse le portrait de deux étudiantes en art en une succession de plans-séquences tournés en 16mm qui rendent compte d’une forme de désœuvrement. Lauréat du Grand Prix, le film reprend le même dispositif que Beatrix, leur précédent long-métrage : des fragments de vie quotidienne en plan-séquences quasiment muets, et des personnages cloîtrés dans leur solitude dont le lymphatisme confine au burlesque. Il en émane une atmosphère proche des films d’Angela Schanelec, qui témoigne à la fois d’une grande rigueur formelle (des cadrages décentrés qui enferment les personnages dans l’étroitesse géométrique de leur environnement) et d’un geste un rien poseur sous couvert de radicalité. Il n’en ressort pas moins un rapport au temps et au mouvement d’une langueur hypnotique. 



© 7 Promenades de Pierre Creton et Vincent Barré



7 promenades avec Mark Brown de Pierre Creton & Vincent Barré


D’une délicatesse et d’une attention de chaque instant pour le biotope normand dans lequel s’inscrit chacun de ses films, le cinéaste-jardinier Pierre Creton et son compagnon Vincent Barré documentent ici sept promenades à la recherche de plantes endémiques, guidé le long des sentiers du pays de Caux par le biologiste Mark Brown. C’est un film simple, qui annonce sans détour son programme et nous le propose en deux temps, celui de la découverte en temps réel et celui, différé, de l’inventaire des trouvailles. Nous voilà embarqués dans une balade au long cours, en compagnie de Pierre, Vincent et leurs amis. Antoine Pirotte, qui tenait le rôle principal d’Un prince, précédent long métrage de Pierre Creton, est préposé au filmage en 16mm de chacune des fleurs trouvées le long du chemin, dont les images constituent la seconde partie du film, bercée par la voix savante et si douce de Mark Brown. Voilà un film aussi sensible que discret sur l’attention portée au vivant et au grand mélange cosmique que constitue la botanique. Comme l’énonce justement le philosophe Emanuele Coccia, « les plantes montrent que vivre ensemble n’est pas une affaire de communauté ni de politique (…). Regarder les plantes signifie regarder ce spécifique contenu du monde qui l’a rendu et le rend constamment possible. Parler des plantes signifie parler de l’origine de notre monde, de son début perpétuel, qui se répète à chaque instant, à chaque lieu du globe. Parler des plantes signifie saisir le premier souffle de l’univers, nommer le lieu où toute chose commence à respirer. » Le meilleur des antidotes face à la résurgence du fascisme ?



© Pepe de Nelson Carlos de Los Santos Arias



Pepe de Nelson Carlos de Los Santos Arias


Après Babe le cochon et EO l’âne, c’est au tour de Pepe l’hippopotame de narrer son histoire, d’un point de vue subjectif et post-mortem. Prix de la mise en scène à la dernière Berlinale, Pepe se situe quelque part entre le documentaire animalier, le conte à la Kipling et la fiction postcoloniale. Abattu en 2009, l’herbivore débonnaire – transféré d’Amibie en Colombie pour satisfaire les caprices du baron de la drogue Pablo Escobar - sert d’alibi pour évoquer l’exploitation de la nature et l’écocide qui en découle, mais aussi la persécution des immigrés et la ségrégation raciale. Dans un prélude prometteur, plusieurs régimes d’images s’enchevêtrent : zoom sur un téléviseur diffusant un cartoon dont Pepe est le héros, caméra-drone s’élevant au-dessus de la jungle et montage composite d’archives où se mêlent images de guerre et spots d’infos annonçant l’exécution d’Escobar. Le monologue en voix off de Pepe, ricanant et devisant dans un mélange de dialectes mbukushu et afrikaans, offre hélas prise à un anthropomorphisme désuet. Étiré sur plus de deux heures, avec l’irruption d’une fiction qui compose la seconde partie et rejoue la traque de l’animal « le plus dangereux du monde » dans les méandres du Magdalena, la parabole finit par se mordre la queue en dépit de merveilleuses trouées poétiques, notamment lors de séquences entre chien et loup au ras du fleuve. À hauteur d’animal, donc.



© Lazaro de Noche de Nicolas Pereda



Lazaro de Noche de Nicolas Pereda


Curieux film que ce Lazaro de Noche du cinéaste mexicain Nicolas Pereda, qui apparaît comme scindé en deux parties distinctes. Il débute comme un vaudeville absurde, à mi-chemin entre Emmanuel Mouret et Hong Sang-Soo : un metteur en scène aux méthodes peu orthodoxes fait passer un casting à un comédien récalcitrant, puis à sa femme qui le trompe avec son meilleur ami, l’un et l’autre en lice pour le même casting. Chacun s’épie mutuellement dans un badinage un peu cringe sur les bords, jusqu’à ce que la vérité finisse par éclater. La dissolution du réel dans l’artifice et les questionnements politiques qui habitent le cinéma de Pereda – ancré à la fois dans la lutte des classes et dans le « réalisme magique » cher à la littérature d’Amérique du Sud - convergent dans une relecture inattendue du conte d’Aladin, lui-même inspiré d’une conférence de l’écrivain argentin César Aira. Le propos est habilement amené, mais ce troisième niveau « méta » instaure une lourdeur allégorique qui prévaut hélas sur l’ironie incisive et faussement mutine du premier tiers.

 


© Les Loups d'Isabelle Prim



Les Loups d’Isabelle Prim


 Dans une Ménagerie de Verre transformée en asile du XVIIIe siècle (le metteur en scène Philippe Quesne, directeur du lieu, est crédité comme décorateur et coproducteur du film), le dispositif cinématographique d’Isabelle Prim donne à voir la réinterprétation de la légende de la Bête du Gévaudan par une troupe de malades mentaux. Séduisant d’un point de vue formel, ce petit théâtre baroque se heurte à la mise en perspective de la représentation, dans une alternance entre le délire drolatique, la mélancolie ou la violence intérieure manifestés par les faux patients et la reconstitution à la façon d’un opéra-bouffe de l’histoire de Bruno, « fils de sorcière et frère de loup-garou », sous les traits de Raphaël Thiéry. Rôdant dans les bois autour du château de Saint-Alban, l’ermite patibulaire choyé par les enfants devient bouc émissaire, tandis que l’obscurantisme s’apprête à céder la place au rationalisme des Lumières et à la psychanalyse institutionnelle. Le parti-pris de faire jouer les aliénés par des comédiens, aussi excellents soient-ils (en particulier Blandine Madec et Marc Susini), se heurte cependant à certaines limites. Convoquer les puissances du faux et de l’artifice pour faire émerger une vérité documentaire, c’est aussi prendre le risque de singer les symptômes de « vrais » malades. C’est cette pénombre morale que le film d’Isabelle Prim ne parvient pas toujours à éclaircir, entre mise en abîme du réel et recherche du romanesque par le biais d’une proposition formelle qui oscille entre les films-performances d’Albert Serra et Le retour de Martin Guerre (film historique de Daniel Vigne en 1982, avec Depardieu en paysan usurpateur



Le FID 2024 a eu lieu du 25 au 30 juin à Marseille 

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