Synthèse entre son Amérique natale et le Japon de ses parents, Yasuhiro Ishimoto est une figure charnière de la photographie nippone moderne. Pour la première fois en Europe, une rétrospective lui est consacrée au Bal : 169 tirages, où les ombres des hommes et des buildings ne font qu’un.
Étonnant endroit qu’un camp de concentration pour apprendre la photographie. C’est pourtant interné et soumis au travail forcé, parmi des milliers de nippo-américains après l’attaque de Pearl Arbor en 1941, que Yasuhiro Ishimoto s’initie au médium. Plot twist : dix ans plus tard, il est exposé au MoMA, temple de l’art contemporain à New York. Pris entre des États-Unis schizophrènes – où il naît à San Francisco en 1921 – et le Japon blessé de ses parents, le photographe saisit les espoirs et les déceptions de deux puissances en pleine expansion.
Pas de visage mais des jambes, juste des jambes, saisies sans le tronc. Certaines élancées, d’autres potelées, la plupart boueuses, terminées par des ongles noirs. L’approche d’Ishimoto dans sa série Beach (1948-1952) est brute, abstraite, dépourvue de contexte. Si le photographe se confronte à l’exercice du réalisme social en allant sur le terrain, c’est avec un regard formaliste : contrastes élevés, saturation de l’image, manipulation des masses. À l’Institute of Design de Chicago où il étudie, l’artiste est encouragé dans l’expérimentation par ses professeurs héritiers du Bauhaus. Dès lors, jamais le photographe ne sacrifiera la recherche formelle lorsqu’il aborde le social. Comme en 1948, dans les quartiers précaires de Chicago pour sa série Halloween : les enfants sont photographiés sous des masques qui leur donnent un air sévère, comme habités par des préoccupations qui ne sont pas de leur âge. Avec cet œil d’esthète, Ishimoto cherche moins à nourrir l’empathie qu’à proposer une interprétation originale d’une terne réalité.
Le Mondrian japonais
Japon, années 1960. De retour sur la terre de ses ancêtres après la guerre, Ishimoto découvre un tout autre décor que celui qu’il a connu enfant. Le pays se redresse, des villes se forment, une skyline se dessine. À rebours de cette effervescence urbaine, le photographe se rend célèbre en prenant pour sujet un bâtiment traditionnel du XVIIe siècle, la Villa impériale de Katsura. Le long d’une enfilade de cloisons géométriques, le regard se perd. Les formes cubiques des panneaux et des tatamis rappellent Mondrian – un effet d’encerclement que reproduit la scénographie du BAL par un cloisonnement au centre de la pièce. Alors qu’il acquiert la nationalité japonaise en 1969, l’artiste prend conscience des affinités esthétiques qu’il partage avec son pays : une attention à l’impermanence des choses et un minimalisme des formes. Planté parmi les gratte-ciel tokyoïtes pour sa série Toki ( « temps »), le Nippo-américain braque l’appareil vers le sol pour saisir des cannettes écrasées – des natures mortes à l’ère de l’aluminium non-dégradable. Une façon d’attraper la méga-ville par le menu détail, qui inspirera de nombreux photographes japonais après lui – de façon tout aussi frontale chez Shomei Tomatsu, ou plus trash chez Daido Moriyama.
⇢ Yasuhiro Ishimoto, des Lignes et des Corps, jusqu’au 17 novembre au Bal, Paris
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