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Avec Arthur H et quatre danseur·euses, vous imaginez un évènement à la Seine Musicale à Boulogne-Billancourt. Que vous inspire chorégraphiquement la musique de ce pianiste, chanteur et compositeur ?


Habituellement quand je travaille, je commence toujours par lire de la poésie. Arthur H vient justement de m’envoyer un texte du poète roumain Ghérasim Luca qui s’intitule Prendre corps. Pour l’évènement que nous créons ensemble, j’ai pu sélectionner certains de ses morceaux que j’aime tout particulièrement, comme « Innocence » ou « La folie du contrôle ». Certaines de ses musiques sont en revanche trop difficiles à incarner et à mettre en espace dans un temps réduit, ou sont trop éloignées de mon travail. Il fallait trouver un point de rencontre, celui d’une poésie qui se dégage de ses textes. Arthur H ne parle quasiment que d’amour et d’émotion dans sa musique, c’est un grand romantique ! Moi inversement, je ne travaille pas tant avec l’émotion mais plutôt avec la perception. J’aime laisser mon travail ouvert à l’imagination.


Quand on pense à la musique dans votre travail, ce n’est pas celle d’Arthur H qui vient en tête mais celle d’un autre compositeur français, votre compagnon de travail et de vie, René Aubry, orienté vers la musique répétitive multi-instrumentale. Vous totalisez 33 pièces créées ensemble. Qu’est-ce qui vous attire tant dans sa musique ?


J’ai rencontré René en 1979 et on a tout de suite accroché, bien qu’il soit de 13 ans plus jeune que moi. Pour une de mes créations, il était technicien de plateau, invité en renfort. Un jour il m’a donné une petite cassette, me disant qu’il faisait de la musique en autodidacte. Immédiatement, j’ai su que quelque chose allait se passer. C’était minimaliste, de l’ambient, proche de Philip Glass ou Gavin Bryars mais avec un univers plus coloré, plus simple, qui me touchait droit au cœur. J’y ai cru depuis le début. Notre création Signes pour l’Opéra de Paris a été un moment rare de ma carrière. Entre sa musique, les tableaux du peintre Olivier Debré et ma danse, tout concordait ! Par ailleurs, c’est l’une des seules pièces que j’ai entièrement écrite sans improvisation. En 1997 les danseurs du ballet n’arrivaient pas à improviser, ou plutôt n’y étaient pas habitués, à part quelques interprètes exceptionnels comme Marie-Claude Pietragalla et Kader Belarbi.


Quelles autres musiques écoutez-vous régulièrement ?


J’ai grandi avec Bob Dylan. À l’époque c’était un chanteur protestataire et adoré de tous, mais pas seulement. Selon moi, il a accédé à un autre niveau, celui de la poésie. C’est lui qui m’a donné envie d’en écrire. Ma génération a été d’abord portée par Elvis Presley, puis est arrivé le mouvement hippie, la beat generation, Bob Dylan et plein de poètes complètement dingues comme Jack Kerouac. À la différence de l’époque actuelle, qui donne l’impression de reculer, c’était un temps complètement libre, ouvert, chacun pouvait affirmer qui il était réellement à l’intérieur. C’est aussi à ce moment-là que j’ai découvert le bouddhisme et le mouvement zen. J’emprunte à cette philosophie l’idée que la vie est impermanente, personne au-dessus de toi ne te dit quoi faire, tu trouves ta voie, tu fais tes choix et je crois que j’ai appliqué cela à ma propre vie.


© Hervé Véronèse


Vous avez tracé votre route en gardant un cap très personnel, à tel point que l’Opéra de Paris vous a créé un titre spécifique : étoile-chorégraphe. Vous avez aussi toujours cultivé une pratique artistique fluide : vous écrivez de la poésie, vous chorégraphiez – bien que vous préfériez le terme de « poésie visuelle » – et vous êtes calligraphe. Ce dernier geste d’écriture fait-il le lien entre les deux autres ?


La poésie et la calligraphie me viennent de ces années hippies à New York quand je travaillais avec Alwin Nikolais, que je considère comme mon père dans le monde de la danse. La première fois que j’ai fait de la calligraphie, on m’a dit : « Vous avez en face de vous une page blanche, vous la regardez et plongez votre pinceau dans l’encre. Lorsque vous êtes prête, vous faites un geste, un seul. Observez sans juger. Voici qui vous êtes à ce moment. » J’ai souvent du mal à être calme et depuis j’utilise la calligraphie comme une méditation. Mais c’est aussi un outil pour travailler le mouvement. Lorsque tu traces un geste dans les airs, si tu n’es pas là à 100%, avec toute la présence et la densité que cela demande, alors les images ne restent pas dans l’esprit des spectateurs. C’est pour cela que je parle de poésie visuelle, car ma danse peint l’espace. Parfois je demande aux danseurs de parler avec tout leur corps, de me raconter leurs rêves, les arbres dans les montagnes, de bouger comme un cygne.


Avec plus de 100 créations à votre actif, votre œuvre est gigantesque. Vous avez dirigé des grands ensembles chorégraphiques, composé de nombreuses pièces de groupes, mais votre travail est aussi ponctué de solos, comme pour faire le point. Pourquoi revenir régulièrement à cette forme ?


Ma toute première pièce était un solo. J’en ai ensuite composé une dizaine, dont cinq – comme Blue Lady – qui pour moi étaient majeurs. Le solo est un espace de liberté très condensé. On se concentre sur une personne, on crée rien que pour elle, le public la regarde en profondeur. Mais je pense aussi que le solo est une façon de parler de nos vies ou de ce que nous vivons. Je veux dire par là que nous existons les uns avec les autres, nous partageons des choses, tu te réveilles le matin avec quelqu’un à tes côtés, mais dans le fond nous sommes seuls. Nous vivons seuls avec les autres. C’est peut-être cela qui m’a terrifiée quand j’ai dû créer pour la première fois un solo pour l’Opéra de Paris. Il m’a fallu trois mois pour écrire 7 minutes. Je pouvais à peine manger tellement j’étais pétrifiée. Mais une fois sur scène tout était là, comme lorsque le peintre Kandinsky dit que les artistes travaillent toujours à partir de souvenirs. C’est ce solo de 1973, Density 21,5, qui m’a placée sur la carte chorégraphique française.


Vous dites d’ailleurs de vous-même que vous êtes la « grand-mère » de la danse contemporaine en France. Avec votre vocabulaire chorégraphique affûté, votre quête d’art total, l’instauration de la recherche au sein des institutions – notamment le Groupe de Recherche Théâtrale de l’Opéra de Paris (GRTOP) de 1974 à 1980 –, vous avez en effet joué un rôle dans l’éclosion de la danse contemporaine dans l'hexagone, mais aussi en Italie et en Finlande. Quel regard portez-vous sur la scène chorégraphique actuelle ?


Créer le GRTOP, c’était une révolution. Mais ça tu ne le sais qu’après coup. Ce que je vois de la scène d’aujourd’hui ? Cela prend du temps mais il semble qu’on est petit à petit définitivement en train de sortir du minimalisme, de l’absence de gestes, du mouvement conceptuel. Regarder des danseurs ne rien faire pendant une demi-heure, c’était pour moi d’un ennui mortel. Aujourd’hui, nous revenons à la danse et j’en suis très heureuse. Je crois que le vent a tourné avec l’arrivée d’Hofesh Shechter [son travail est présenté en France pour la première fois en 2009 - ndlr]. Ce chorégraphe et musicien israélien, comme d’autres telle la Canadienne Crystal Pite, ont ramené sur scène l’intensité, l’authenticité, l’énergie presque primitive de la danse. À ses danseurs, Hofesh dit parfois quelque chose dans lequel je me reconnais : « oublie la technique, laisse ton âme au vent ».


Arthur H affiche son engagement environnemental en étant signataire d’une tribune dans Le Monde aux côtés de 200 personnalités de la culture. De votre côté vous puisez souvent votre inspiration auprès des éléments naturels, des minéraux et végétaux, sans pour autant qualifier votre pratique d’art écologique. Quel est selon vous le rôle des artistes sur ce sujet ?


Je ne travaille pas sur l’écologie, je ne suis pas politique dans ce sens-là. D’origine finlandaise j’ai grandi avec la présence des vagues en Californie au bord de l’Océan Pacifique. La nature a toujours été présente dans mon environnement jusqu’à ce que je rejoigne la jungle urbaine de New York puis l’Europe. Nous sommes faits d’eau, nos pieds sont au sol, nous respirons cet air, nous sommes comme des arbres qui grandissent. Nous avons tendance à oublier que nous sommes la nature que nous détruisons. C’est cette approche que je développe dans mon travail, notamment dans ma dernière création The Tree inspirée des Fragments d’une poétique du feu du philosophe Gaston Bachelard. J’aime les messages politiques seulement quand ils sont subtils. Les exilés climatiques et politiques, les guerres, les tueries de masse, les feux : tout ce qui se passe dans le monde en ce moment est au-delà de l’horreur, les artistes doivent en prendre en compte comme tout citoyen. Mais il me semble que notre rôle en tant qu’artiste n’est pas de montrer cela, ni d’en livrer une lecture univoque, mais de laisser les gens décider pour eux-mêmes. Si dans l’art on entend donner un message exact, on ne donne rien du tout. En revanche si notre cadre est large, si on suscite des images plutôt que de les montrer ou de les expliquer, on laisse la possibilité aux autres de rêver et de percevoir.



Carolyn Carlson et Arthur H

⇢ les 11 et 12 octobre à la Seine Musicale, Boulogne-Billancourt

Crossroads to Synchronicity de Carolyn Carlson 

⇢ du 15 novembre au 3 décembre au Théâtre Libre, Paris

⇢ les 27 et 28 mars 2024 au Châteauvallon-Liberté, Toulon

⇢ le 5 avril à la Maison des Arts du Léman, Thonon-les-Bains

The Tree de Carolyn Carlson

⇢ le 12 décembre au Théâtre Olympia, Arcachon

⇢ le 15 décembre au Théâtre Alexandre Dumas, Saint-Germain-en-Laye

⇢ le 19 décembre au Théâtre la Baleine, Onet-le-Château

⇢ le 9 mars 2024 au Grrranit, Belfort

⇢ le 14 mars au Théâtre Jean Vilar, Bourgoin-Jallieu

⇢ le 19 mars au Kiasma, Castelnau-le-Lez

⇢ le 23 mars à La Chaudronnerie, La Ciotat

⇢ le 30 mars au Théâtre en Dracénie, Draguignan

⇢ le 2 avril au Théâtre La Colonne, Miramas

⇢ le 6 juin à l’Opéra de Limoges

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