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Un mur de drapeaux brésiliens en fond de scène : derrière le motif répété façon papier-peint, c’est tout un folklore, largement bankable, qui surgit, mêlant football, carnaval, samba ou encore feijoada. Autant de phénomènes culturels venus des favelas – ces quartiers construits à flanc de collines qui n’ont pas de réelle existence administrative voire sont quasi effacés du paysage par les pouvoirs publics –, où se concentrent les populations les plus pauvres des villes, en majorité afro-brésilienne et originaire du Nordeste. Une silhouette noire se décroche sur le fond vert et jaune, comme une ombre chinoise. Ses bras ondulent et ses jambes, telles des échasses, suivent un mouvement de balancier. La danse hypnotise jusqu’à ce qu’une lumière crue découvre un corps nu perché sur des bottes de Drag queen. L’homme s’immobilise face au public, tend les muscles, rentre le ventre, développe sa cage thoracique. Le chorégraphe Luiz de Abreu a confié à Calixto Neto son solo O Samba do Crioulo Doido (« La Samba du nègre fou »), qu’il a créé en 2004, un an après l’accession du leader syndicaliste Luiz Inácio Lula da Silva à la présidence du pays. Vingt ans plus tard, celui-ci revient au pouvoir suite à Jair Bolsonaro, qui n’a eu de cesse de criminaliser les favelados et d’encourager les raids meurtriers des forces de l’ordre dans les favelas. Avec le président sortant d’extrême-droite, c’est tout un discours raciste, homophobe et sexiste – réveillant un inconscient colonial et esclavagiste – qui s’est normalisé dans un pays, pourtant connu pour la promotion des identités queer et « l’harmonie raciale ».



En une trentaine de minutes, le performeur enchaîne les pauses brutales et les mouvements lascifs : exhibitions anatomiques rappelant les « marchés aux esclaves », grimaces simiesques en écho aux cirques, silhouette tendue évoquant des corps pendus ou lynchés, égérie de carnaval. Sorte de revue condensée des stéréotypes qui collent à la peau des personnes noires dans le regard occidental, de l’Amérique à l’Europe, le solo pousse les stigmates jusqu’à la réappropriation on ne peut plus claire et efficace : Calixto Neto transforme la sauvagerie et l’hypersexualisation en grâce, se fait une robe du drapeau national. Luiz de Abreu tend un miroir qui révèle et expurge ce qui est intériorisé dans l’inconscient collectif des pays colonisateurs, notamment dans les institutions artistiques. Une manière peut-être de performer la conclusion de Franz Fanon dans son essai Peau noire, masques blancs : « Je suis nègre et des tonnes de chaînes, des orages de coups, des fleuves de crachats ruissellent sur mes épaules. Mais je n’ai pas le droit de me laisser ancrer. […] Je n’ai pas le droit de me laisser engluer par les déterminations du passé. Je ne suis pas esclave de l’Esclavage qui déshumanisa mes pères. »


O Samba do Crioulo Doido de Luiz de Abreu a été présenté le 27 janvier dans le cadre du festival Parallèle 13, Marseille ; le 4 février au Théâtre Garonne dans le cadre du festival ICI&LÀ, Toulouse ; du 28 février au 4 mars dans le cadre du festival Dañsfabrik, Brest