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Rue Laboureur.

« Ça manque de pièces trash cette année, non ? Tu sais, avec des bites et tout… » 

 

11h20

Inging, Simon Tanguy - Théâtre de l’Oulle

Pourquoi voir autre chose sur scène que ce Inging dans lequel se lance le chorégraphe Simon Tanguy ? Pourquoi, d’ailleurs, faire autre chose au quotidien que du Inging ? Combien d’anti-dépresseurs et de séances de psy économiserions-nous ? Quels bénéfices pourrait en tirer la société au sens large ? On ne le saura sans doute jamais, puisqu’on doute que ce concept initié par la chorégraphe américaine Jeannine Durning gagne les foules instantanément. Mais ça ne coûte rien d’y songer. Inging soit « être en train d’être en train » a la simplicité des idées les plus puissantes, et la force des performances réellement transformatrices. Il s’agit, pour un danseur-comédien, pendant 40 minutes, d’improviser oralement et/ou chorégraphiquement sans aucune base, ni interruption. Simon Tanguy relève le défi tous les matins devant un public disposé sur scène et auquel il ouvre la petite porte de son subconscient en déballant son stream sans filet.

Qu’est ce qui sort donc d’un individu lorsqu’il se livre sans filtre, sans surmoi, à des inconnus dans le cadre d’une performance ? Des commentaires pêle-mêle sur lui-même, son environnement immédiat (et donc sur le festival lui-même), l’actualité, les spectateurs, ses désirs secrets, ses peurs. Parfois, ça débouche sur des considérations philosophiques ou existentialistes, puis, lorsque la panne sèche se pointe, c’est le mot brut qui reste, en boucle, jusqu’à la prochaine association d’idées. Physiquement, l’opération déclenche une transe chez le danseur, l’écume aux lèvres, les yeux exorbités, au bout de soi-même. La redescente, quant à elle, se fait dans le vide, dans un silence soudain, l’air halluciné, hagard. Et donne envie de s’y mettre à son tour.

 

Inging de Simon Tanguy p. Elian Bachini

 

13h45 

Disparu, Cédric Orain - Train Bleu

Certains, qui ne connaissent pas les joies de la sublimation par le Inging, préfèrent démissionner de la vie en disparaissant purement et simplement de la circulation. C’est fréquent, nous révèlent des statistiques, et c’est le stupéfiant fait de société qu’a choisi Cédric Orain pour ce délicat solo implacablement interprété par Laure Wolf. Le Disparu est un tout jeune adulte dont le geste serait d’obédience situationniste, en attestent ses lectures, seuls indices à disposition. À cet acte radical et conceptuel, aux motivations vraisemblablement esthético-politiques, Orain oppose une forme intime, crépusculaire, et l’axe de l’amour filial, de la tendresse, en prenant le point de vue de la mère décontenancée, dans une situation d’interview indéterminée. La partition et l’exécution sont irréprochables, même trop, et c’est peut-être le seul défaut de ce travail sans faille, proche de la pièce radiophonique. Le texte pèche presque par sa sur-écriture et sa propreté, même si l’on goûte volontiers à ses intouchables évocations de l’absence, entre autres. 

On sort pourtant avec la sensation d’être resté à côté du sujet - se retirer de la société sans laisser de note d’intention - et de ses innombrables implications, métaphysiques comme plus triviales. Mais on ne peut que respecter l’angle choisi, que la pièce taille à la perfection. 

 

15h20

Flavien, Flavien Bellec et Etienne Blanc - Train Bleu

Le LOL arty a de beaux jours devant soi, à en juger par les créations toujours plus malicieuses et fendardes d’artistes comme Dominique Gilliot, le Collectif Impatience, et désormais Flavien Bellec et Etienne Blanc. Ces derniers font mine de régler la question du narcissisme de l’artiste dans un méta-spectacle qui revisite un souvenir d’enfance du comédien, pour mieux déconner avec les codes de la scène. L’humour est potache, éventuellement malsain, mais la forme est sophistiquée et pernicieuse, ajoutant à la fois vulnérabilité et substance à ce qui pourrait demeurer une bonne grosse blague. Un extrait de dessin animé, la lecture d’un texte sur écran, un masque de singe, une perruque, un morceau de Céline Dion : autant d’artifices qui, bien manipulés, créent un comique mutant et une distance inquiétante entre l’interprète et son public. Et c’est là tout le sel de ce bien-nommé « one-man-show expérimental ».

 

18h45 

L’Origine du Monde (46x55), Nicolas Heredia  - Musée Angladon / La Manufacture

Le vrai et le faux, le probable et l’improbable, les réalités parallèles, la valeur de l’art, le réflexe consommateur du spectateur : Nicolas Hérédia arrive à remuer tout ça dans une conférence performée ambivalente, gadget dans son déroulé, mais fertile dans sa mise-en-abîme. L’Origine du Monde (46x55) spécule sur toutes les possibilités découlant d’un acte a priori anodin : l’acquisition en brocante d’une copie du célèbre tableau éponyme par l’interprète. Voilà qui lui fournit un point de départ pour la pièce à laquelle on assiste, bien qu’il tente - ou plutôt parce qu’il tente - de nous la refourguer façon télé-achat. 

Nicolas Hérédia se transforme alors en VRP, et la forme très « vente aux enchères » ou les mises au défi du public s’en ressentent comme littérales voire grossières, jusqu’à ce qu’il parvienne à les transcender. Au fil des hypothèses autour de la maudite babiole, se déplie une chaîne causale imaginaire digne d’un scénario à la Charlie Kaufman, dont l’existence même du spectacle ne devient qu’un maillon. Ce petit tour-de-force opère par saturation d’infos et stimule nos désirs d’aventure et d’intensité pour mieux les trahir. Si bien que même lorsque le spectacle s’achève sur un véritable stand de merchandising, on concède malgré tout à cette opération-séduction des motivations troubles qui continuent à travailler après coup.

 

L'Origine du Monde (46x55) de Nicolas Heredia p. La vaste entreprise

 

Journée bonus. 10h45

Cherchez La Faute, François Rancillac - Château de Saint-Chamand / La Manufacture

Ce matin, un mistral continu, souverain, fait claquer les affiches du Off sur les murs d’Avignon. Quitter le festival, son agitation futile mais grisante, ses pièces comme ses fêtes, peut engendrer un petit pincement, mais les bourrasques poussent vers la sortie. Un dernier tour de piste s’impose. C’est avec François Rancillac et ses trois comédiens savants, les monuments Danielle Chinsky, Daniel Kenigsberg et Frédéric Révérend, qu’il aura lieu, dans un champ à 10 minutes en bus des remparts. C’est là que se tient un vrai-faux club de lecture aussi champêtre qu’ésotérique, rappelant la Joycean Society, cette communauté qui s’échine à déchiffrer les plus gros volumes de James Joyce. Les écrits étudiés ici sont pourtant bibliques, mais il ne s’agit pas d’une séance de catéchisme. La sélection de textes religieux, toutes confessions confondues, reconstitue le récit d’Adam et Eve en le soumettant aux grilles de lectures de la psychanalyste Marie Balmary, qui organise elle même des séances collectives et laïques sur le sujet. Elle traque dans ces fondements de la civilisation judéo-chrétienne l’émergence du sujet « je », et remet en cause cette culpabilité présumée l’origine de toutes les doctrines, dont elle questionne la présence dans les textes. 

Dit comme ça, et sous un vent qui éprouve les cordes vocales des comédiens, la proposition semble périlleuse. Et elle l’est. Seulement, Cherchez La Faute a la générosité et la fécondité des expériences théâtrales qui instruisent sans autorité, par son dispositif démocratique en cercle, et le bon ton des interprètes-lecteurs, et nous relâchent avec les doutes dont est faite la sagesse. Ce qui se joue ici, c’est la réversibilité de la connaissance, toujours renouvelée par un nouveau point de vue, c’est l’ambiguïté vertigineuse du langage, des trésors de sens qu’il referme comme de ses dangers, et l’art subtil de la pédagogie, ici accueillante sans être vulgarisante. On n’a pas tout entendu sous le chaos sonore des feuillages au-dessus de nos têtes, on n’a pas tout réceptionné dans le flot d’informations, mais on fera quelque chose de ce qu’on a gardé, presque sans le savoir, bien après avoir quitté Avignon.