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12h45

Guillaume, Jean-Luc, Laurent et la Journaliste, Jeanne Lazare - Train Bleu

Du In au Off, la rétro-anticipation a le vent en poupe à Avignon cette année. Dans la fresque de Pascal Rambert sur le début du XXème siècle, à la cour d'honneur, on prophétisait sans cesse les grands drames de l’histoire, l’extermination des juifs, ou encore la dépénalisation de l’homosexualité. Chez la jeune metteur-en-scène Jeanne Lazare, au train bleu, on est plus modeste et on imagine la trithérapie avec dix ans d’avance, au détour d’une réplique.

Ce n’est heureusement pas ce qu’il y a de mieux dans sa création autour de Guillaume Dustan, qui nous téléporte au début des années 2000. Blacklisté en son temps, le défunt auteur incarne désormais une soif d’absolu et une pulsion vitale aux yeux d’une nouvelle génération qui le consacre dans ses travaux, dont ce stimulant Guillaume, Jean-Luc, Laurent et la JournalisteDans un premier temps, la pièce se joue de la situation théâtrale de l’interview télévisuelle, par un savant découpage entre discussions de plateau avec le sulfureux écrivain (d’Ardisson à Dechavanne) et extraits de ses textes. Autrefois confuse et utopiste, aujourd’hui bizarrement pertinente, la pensée libertaire de Dustan est assez dense pour circuler par plusieurs voix. Au risque de friser la schizophrénie. Ou, de se confronter ou se confondre avec celle de ses contradicteurs, on reconnaît Marc Edouard-Nabe et... Marianne James. 

C’est aussi un rituel presque archaïque qui est ici exploité et exploré. Celui du plateau télé à l’ancienne, tribunal moral où la parole est toujours incongrue et tronquée, mais étonnamment puissante puisque prescriptrice. D’autant que celle-ci en particulier n’y aurait sans doute plus sa place aujourd’hui. C’est là où le travail de Lazare, ironique mais toujours vif et élégant, se situe quelque part entre celui d’Emilie Rousset, et Germain Fait Sa Télé, cette pastille TV de Canal+ où l’artiste Germain Huby détournait la rhétorique médiatique. Souhaitant rendre justice à Dustan l’écrivain, par delà son image d’icône transgressive, la seconde partie abandonne son dispositif de base. Elle rentre dans les écrits de l’auteur, et, ça ne colle qu’à moitié. L’interprétation manque d’innocence et trahit un fétichisme autour de cette figure en cours d’intronisation tardive. Des maladresses qui n’entament pas l’énergie et la pertinence globales de ce projet en deux volets.

 

15h

Pour ou contre le théâtre politique ?

À Avignon, deux visions s’affrontent. Dans le In, Subversif est un album photo en vente à la boutique du festival, affichant fièrement une citation de Claude Régy qui doit en rire très jaune. Rappelons à nos mémoires son brûlot dans Libération en 2001, appelant à « supprimer Avignon ». Dans le off, on tombera sur l’affiche de Nos pénis divergent, un spectacle de la grosse compagnie...

 

17h

Les rues n’appartiennent en principe à personne, Lola Naymark et Mélanie Péclat - la Parenthèse

Devenu un incontournable des arts dans l’espace public comme des théâtres friands de spectacles hors les murs à bas coût, la forme de la ballade sonore fait particulièrement sens dans le cadre d'Avignon. Car le festival vient transformer, voire saccager la ville à coup d’affichage sauvage (et pittoresque), d’affluence humaine et d’inflation du coût de la vie. Ainsi, la promenade de la comédienne Lola Naymark et de l’artiste sonore Mélanie Péclat, tombe à pic en créant un temps hors du flux avignonnais. En 50 minutes, la vie courante des rues de la ville est restituée à nos oreilles en nous les faisant voir par les yeux de certains de ses habitants, interviewés pour l’occasion. 

Tendre tout en évitant les écueils de la poésie urbaine propre à ce type de déambulation - les auteures se réclament plutôt de la science du détail de Georges Perec -, Les rues n’appartiennent en principe à personne nous fait voir à travers les murs. La proposition lie l’intime au citoyen, et justifie sa forme d’audio-guide touristique qui nous donne des airs de guignols en visite groupée. Par un montage de haute volée et des choix de témoignages bien balancés, la bande-son nous projette dans l’espace urbain comme dans un scaphandrier explorant les fonds marins, et transforme le banal en signe riche de sens. Le découpage contourne même les bons sentiments à chaque fois qu’on les voit poindre, comme lorsqu’une Avignonnaise prend pitié de ses agresseurs une fois arrêtés, ou qu’un groupe d’habitants projette un « happening » consistant à simuler simultanément des agressions sous toutes les caméras de surveillance de la ville pour saturer les forces de l’ordre. Le politique est certes soft, mais plus porteur d’action que ce qui circule sur les scènes. Un parcours finement pensé, dont on aurait seulement souhaité qu’il laisse plus de temps à la flânerie individuelle. 

 

Les rues n'appartiennent en principe à personne de Lola Naymark et Mélanie Péclat p. La Parenthèse

 

19h20

Contre Les Bêtes, Jacques Rebotier - Espace Pasteur

Contrairement aux mille et unes prophéties rétroactives déclamées sur les scènes avignonnaises ce mois-ci, le bon vieux bricoleur de mots Jacques Rebotier choisit d'exprimer un cri, déjà poussé il y a 20 ans, mais qui s’entend bien mieux aujourd’hui. Son réquisitoire sarcastique Contre Les Bêtes va au bout de la logique destructrice de l’activité humaine sur son environnement naturel, et s’en prend à toute les espèces animales, une par une, dont il juge que l’extinction devrait s’intensifier. 

En premier lieu, c’est bien sûr sa langue, old school mais truffée de pièges, et son oralité, joueuse et versatile, qui viennent nous piquer. Mais c’est surtout son discours qui jaillit avec une urgence toute neuve en 2019. Accélérationniste à souhait, du courant philosophique initié par Mark Fisher, visant à précipiter le capitalisme dans sa chute par ses propres outils, et anthropocènique en diable, en ce qu’il envisage l’homme comme une catastrophe naturelle sur Terre comme une autre. Ce, avec une espièglerie bien loin des grandes messes en vigueur sur le sujet. Pourtant, son constat ne date pas d’hier. Le comédien Michel Simon, une des milles références qui viennent en tête pendant cette lecture animée, nous l’annonçait déjà, en 1965 au micro de l’ORTF.