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Sur la scène de l’austère Palais des Congrès de Lugano, Ana Pi détonne dans sa combi aux motifs colorés, capuche sur la tête. À côté d’elle, quelques vêtements sur un portant, derrière elle, un grand écran. Des images défilent, on reconnaît parmi les vidéos d’archives les styles du break, krump ou voguing… Armée d’une télécommande, la chorégraphe brésilienne annonce qu’elle sera notre guide, à travers cette conférence dansée. Un « tour du monde des danses urbaines en dix villes » nous faisant voyager des township Johannesburg et son pantsula fiévreux, aux favelas de Rio de Janeiro et son passinho endiablé, en passant par le dubstep londonien ou les plus connus dancehall de Kingston. Au fur et à mesure, la danseuse-chercheuse-conférencière esquisse avec élégance et précision chacune de ces danses, mais surtout démontre qu’elles ont été pour beaucoup le moyen de sauver sa peau, de trouver une communauté et de résister dans des contextes de pauvreté, de racisme, d’homophobie et de transphobie. Créée en collaboration avec Cecilia Bengolea et François Chaignaud, cette pièce de 2014, toujours aussi pertinente, nous rappelle les luttes qui animent des esthétiques que l’on croise désormais fréquemment dans les clips ou sur les plateaux de théâtre.


The Divine Cypher d'Ana Pi © Daniel Nicoalevsky Maria



Le tour du monde des danses urbaines laisse place à une pièce amorcée en 2020, The Divine Cypher, qui s’ouvre sur une esthétique bien plus futuriste, mais toujours aussi DIY. Dans le couloir qui mène jusqu’à la salle, vêtue de blanc, une bonbonne d’eau et une visière en plastique sur la tête, Ana Pi se tient-là, immobile comme une statue. Une fois à l'intérieur, des tentures blanches sont accrochées aux murs, le sol est recouvert avec soin de sucre blanc, évoquant des paysages désertiques. Ce cercle argenté fait écho au petit miroir de poche que l’on trouve sur nos fauteuils. Côté cour, on décèle un autel composé d’un écran, un tourne-disque, une gourde et plusieurs ouvrages. En s’approchant de plus près, à la fin de la représentation, on y découvre des documents sur Haïti, un affiche du documentaire Divine Horsemen: The Living Gods of Haiti, de la cinéaste américaine Maya Deren, qui y explorait de 1947 à 1954 les rites vaudou de cet état des caraïbes. Dans une semi-pénombre, la danseuse et chorégraphe tisse un dialogue avec cette documentariste, projetant son visage sur le sien. À travers sa danse précise, sensuelle, elle met en évidence la parenté de ces traditions vaudou avec les rites contemporains de la danse urbaine pour créer une pièce énigmatique, à l’esthétique nébuleuse fascinante, qui se situe entre passé et futur. Cette recherche décoloniale, traversée par l'intime, est probablement la plus convaincante du tout jeune Lugano Dance project, festival qui mérite, pour ses prochaines éditions, de trouver un fil conducteur à sa programmation.




> Le tour du monde des danses urbaines et The Divine Cypher d’Ana Pi, ont été présentés au Lugano Dance Project, du 25 au 29 mai à Lugano, Suisse