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La crise du Covid-19 et son état d’urgence sanitaire ont fait instantanément pleuvoir des images désolées de soignants épuisés, recroquevillés dans un couloir ou réfugiés dans les bras d’un collègue. Il aura fallu ce tableau de pandémie inédit pour que le traitement réservé aux anciens, en EHPAD ou ailleurs, n’accède lui aussi aux médias. Par la simple image d’une pianiste en blouse blanche outillée d’une béquille, Les Enfants terribles de Phia Ménard annonce son ancrage dans l’hyper-actualité contemporaine – vite confirmé par le casting d’acteurs grimés en seniors.



Passions pour tous


Cernés par trois représentants du corps médical chacun à son clavier, ces Enfants terribles sont en fait au crépuscule de leur vie. Dans l’intérieur sur-ouaté d’une chambre médicalisée, Paul et Elisabeth, frères et sœurs unis par un amour très vache, rejouent les aventures mortifères des personnages de l'œuvre de Jean Cocteau, sur un livre de Philip Glass. Avec une boîte à trésor pour objet d’allégeance, le duo adelphe rythme le flux monotone d’un établissement de soin. Leur enfance a beau dater, les malices et chamailleries ce vieux couple inavouable n’ont rien perdu de leur fraicheur infantile. Difficile de ne pas reconnaître dans leur chorégraphie celle de parents, voisins ou grands-parents, et ainsi retrouver la tendresse blasée qu’elle peut inspirer.

 

Dans les fantaisies fidèlement reconstituées de Cocteau, il est question de bataille de boules de neige tournant à la catastrophe, de fuite hors de la prison dorée, d’amours naissants. C’est une pantomime claudicante et rouillée qui figure les rivalités et l’attraction des corps, et leur donnent paradoxalement une seconde jeunesse. Sujet encore à peine énonçable auprès des personnels d'EHPAD ou - pire - des proches de personnes âgées qui y séjournent, le désir voire la possibilité d’une vie sexuelle chez les anciens gagnent ici en évidence et en nécessité. Ces plus-tout-jeunes n’ont en effet rien perdu de leur gout de l’action.



Drame polyphonique


Par un jeu de plateau circulaire autour de leur chambre centrale, patients et soignants marquent leurs déplacements dans l’EHPAD ou dans la ville. Un Cocteau fantomatique apparaît même en chef d’orchestre et de cérémonie, offrant une vue zoomée de la villa où ira se réfugier la bande en cavale. La scène évidée se fera ensuite piste de danse sans gravité, ou point de passage névralgique pour petits billets secrets. Hélas, le tableau frise la cacophonie : la répartition inattendue des rôles constitue déjà un événement de taille, les structures hypnotiques de Philip Glass nous enveloppent dans une puissante introspection, tandis que l’abstraction du Cocteau-dessinateur ressurgit dans le travail des formes, des costumes et de l’espace – ça commence à faire beaucoup. La juxtaposition des rythmes, des énergies et de la proposition plastique, épuisera sans doute les oreilles et les attentions distraites, au risque de confiner ces Enfants Terribles à une fresque sociale vite esquissée, sous une esthétique tragique par trop sophistiquée.



> Les Enfants terribles de Phia Ménard (d’après Philip Glass), a été présenté les 10 et 11 janvier aux 2 Scènes, Besançon ; du 17 au 21 janvier à la Comédie de Clermont-Ferrand ; les 1er et 2 février à la MC2, Grenoble ; les 10 et 11 février au Théâtre National Wallonie-Bruxelles, Belgique ; du 23 au 26 février à la MC93, Bobigny