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Exit les grandes épopées tragiques à la sauce Capulet et Montaigu : les histoires de love s’écrivent aujourd’hui par swipe, DM, et éventuellement par lettres manuscrites pour les plus romantiques. Ça commence rarement au pied d’un balcon, plutôt au coin d’un comptoir, à la sortie d’un after ou à la pendaison de crémaillère de la vieille copine. Par la voix de deux trentenaires bien ancrés dans leur époque, Yuval Rozman met en scène une relation amoureuse ordinaire, et ne laisse pas de côté les crasses habituellement omises pendant les débriefs avec les potes.


Tahmar a grandi en Israël, Virgile dans le sud de la France, et les deux se rencontrent à Paris via l’appli à la petite flamme. Dès le premier date, rejoué à l’identique devant nos yeux, l’occupation israélienne alimente les boutades au même titre que les pannes sous la couette, l’humour et l’autodérision s’imposent en principe fondamental de communication dans le duo. Lorsque Tahmar – par le jeu malicieux de la comédienne Stéphanie Aflalo – débute le récit de cette romance parisienne longue de cinq ans, la rupture a déjà été consommée, et la jeune femme assure seule le récit rétrospectif du déclin. Entre les quatre coins de la scène en PVC blanc luisant, bac à sable pour grands enfants, Virgile convoqué seulement en personnage de l’histoire s’invite à la fête par une entrée en chanson. Déjà ça sonne faux, mais voyez, c’est tellement mignon.


Le sens de l’humour

 

Dans ce décor façon Disneyland, les teintes pastel qui habillent les deux tourtereaux bercent l’assemblée autant que les douceurs et les niaiseries échangées par semi-remorques. Ça balbutie, ça se chamaille, ça boude et ça roucoule jusqu’à plus soif. En ultime symbole de leur union, le « P’tit Couchou », magnifique border collie, anime le plateau de sa présence bien réelle, même si le plus souvent cantonnée à un rôle symbolique plus qu’à celui de véritable partenaire de jeu. Les scènes guimauves qui défilent sous nos yeux dans un débit fleuve, rendues encore plus sirupeuses par le ton tranquille et volontiers moqueur de la narratrice, tout comme le caractère boute-en-train du prince charmant, parachèvent le tableau des lieux communs. Sauf qu’Ahouvi « mon amour » en hébreu – ne s’arrête pas à la version instragrammable de la vie de couple : par les interstices, juste pour rire, quelque chose de poisseux s’installe, un malaise diffus mais récurrent. Jusqu’à ce que les contorsions tout sourire de Tahmar ne suffisent plus à camoufler l’éléphant sous le tapis…


Il y a les petites réflexions, les regards assassins sortis de derrière les fourrés, la tension, et puis inévitablement une main qui finit par se lever. Ça, on l’avait moins vu venir. Non pas que la chose soit rare – ce gars-là, c’est le copain « un peu nerveux », le frère « qui a plein de bons côtés », ou le collègue « surmené en ce moment ». Mais ce secret de Polichinelle, habituellement, ne se raconte à personne. Virgile, c’est tout sauf un monstre ou un cas particulier. C’est l’exemple-type du mec pas méchant, pas vraiment violent, qui tout de même tord le bide de sa bien-aimée par ses sauts d’humeur, lui fait perdre un tiers de son poids ou la convainc, l’air de rien, qu’elle fait tout de travers. Comme le pédalo rose-bonbon échoué sur la scène, jadis habitacle des plus belles virées, il faudra une Tahmar à fond de cale, lasse d’être chill, blessée dans son amour au-delà de son égo, pour retourner la claque. Ni grandioses, ni tragiques, les amours d’Ahouvi se déroulent à taille humaine, délivrant moins de leçons qu’ils se font les piqûres de rappel d’une dérive ordinaire, et en cela instructive pour chacun.e.


> Ahouvi de Yuval Rozman :

⇢ du 28 février au 3 mars au Phénix, Valenciennes, dans le cadre du festival Cabaret de curiosités 

⇢ les 4 et 5 avril à la Maison de la Culture d’Amiens, dans le cadre du festival Amiens Tout-monde

du 7 au 25 novembre au Théâtre du Rond-Point, Paris