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Parmi les spectateurs qui se pressent à l’entrée de la salle où se prépare la représentation de The Jewish Hour, un homme en tenue traditionnelle juive fait frémir les laïcards venus assister au spectacle. Sur l’espace de la scène, pourtant, le décor réaliste d’un plateau radio fait baisser l’angoisse d’un cran. L’homme aperçu dans le public rejoint sur la scène deux autres acolytes, tout aussi trépignants de leur show à venir. Cerise sur le gâteau de la fébrilité ambiante, le faisceau rouge d’un minuteur digital qui surplombe le plateau lance bientôt les chronos.


Dans le format excessivement fidèle d’une émission radio de société, une présentatrice au débit de cockée présente son journal consacré à l’actualité en Israël, enchaînant massacres organisés, relevés de faits antisémites et jingle en hébreu des plus claqués. Ses invités défilent au micro, dans une composition indigeste et par là même fidèle au modèle médiatique, français comme israélien. Pendant que l’une interroge et anime, un second comédien joue le frère ingé-son, et un troisième passe successivement les costumes de boxeur, de rabbin, et d’un Bernard-Henri Lévy mal emperruqué. La grossièreté de l’artifice fait sourire, invalide d’entrée de jeu les propos des invités, et rend le débat mené sur l’antisémitisme en France de plus en plus difficile à saisir. Les ruptures de ton déroutantes de la comédienne Stéphanie Aflalo étourdissent et malmènent les efforts de vigilance exigés par le sujet. À peine a-t-on le temps de tirer un trait sur le sérieux des invités – pourvoyeurs de tarte à la crème, comique de répétition franchement lourdingue et attouchements physiques l’air de rien-, que le BHL de service marque un revirement soudain avec une tirade argumentée sur le nationalisme latent en Israël. Le repérage est flingué, les maigres repères sont encore à redéfinir.


Rire de tout


L’anxiété cultivée par l’entrain discontinu de la présentatrice aidant, le spectacle se déroule à vive allure, dans un curieux mélange de données fondées et de bullshit médiatique. Et c’est bien l’effet recherché par Yuval Rozman. Pour le metteur en scène, il n’était pas pensable d’aborder le climat politique de sa terre d’origine autrement que sur le registre de la satire. Formé en Israël, puis rapidement dans le viseur des services de sécurité pour ses pièces critiques à l’égard du pouvoir, Yuval Rozman s’installe en France. Arrivé au « Pays des Lumières », le jeune homme déchante rapidement et se voit contraint d’admettre la réalité d’un antisémitisme diffus. Pourtant, le réalisme théâtral ne lui semble pas être une réponse adéquate à la cacophonie médiatique des deux pays qu’il connaît. Il préfère investir les ressorts comiques pour partager son sentiment de confusion, encore décuplé par son installation en France. Une heure et demie de performance fébrile et de gags embarrassants surchargent donc le public d’un malaise durable, avant que le décor du studio radio cède pour révéler, en fond de scène, les trois mêmes comédiens en musiciens survoltés. Les premiers coups de batterie tombent en rafale, bientôt rejoints par un clavier et une guitare électrique. Le son sature l’espace plongé dans la pénombre et semble crier sans verbe la colère d’une jeunesse semée sur le bourbier de l’histoire.  Mais la rage laisse bientôt place à la chaleur d’un poème en hébreu, celui-là même chanté par la mère de Yuval Rozman à son arrivée au monde, ouvrant la voie à ce qui semble résister, même au cœur du marasme : l’amour et ces mouvements vers l’autre, impossible à contenir. 



> The Jewish Hour de Yuval Rozman, a été présenté les 3 et 4 mars 2021 dans le cadre du festival Cabaret de Curiosités au Phénix, Valenciennes. Du 19 au 27 mars 2021 au Théâtre du Monfort, Paris

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