CHARGEMENT...

spinner

Une prairie bucolique, couronnée en son centre par un jeune couple tout en amour. Puis, une masse indistincte de corps absorbés par les plaisirs de la chair. Et enfin, une orgie macabre à base de fruits pourris et de fornication interespèce. En son temps, les trois volets du Jardin des délices, triptyque livré par le peintre Jérôme Bosch en 1515, visaient à formaliser le passage du Paradis à l’Enfer après le détour par la vie terrestre. Contre cette armada de symboles opaques à l’homo sapiens du XXIe siècle, le metteur en scène Philippe Quesne rameute ses créatures humaines et merveilleuses pour un exercice de traduction en utopie contemporaine.


À l’aube d’une journée sous les néons, un car de ramassage nord-américain vomit en petite cascade une colonie hétéroclite à la mine ensommeillée. Chapeaux Stetson et santiags de cuir, ces globetrotters d’agence de voyage posent leurs bagages sur le rivage d’une étendue sableuse, fond de scène pixellisé à l’appui. Tour guide de ce voyage lunaire, un cow-boy en costume trois pièces anime le parcours à la façon d’un podcast d’ASMR, ballade au synthé en bonus. Pour cette retraite au grand air, pas l’ombre d’un arbre, tout juste un amas de gravier fraîchement livré dans un grand sac de BTP. Bien assez pour engager la première cérémonie collective, une ronde chorale avec flûte à bec, banjo et castagnettes.



© Martin Argyroglo



Sous le PVC, la plage


Difficile de percer les préceptes de ce rituel new age, mais pas d’en percevoir la douceur magnétique. Du boudeur adolescent à la baby doll en extase, du soliste lyrique à la fredonneuse du dimanche, l’équipe observe son culte avec une tranquillité constante, bordée par tous les codes du feel-good movie à l’hollywoodienne. On goûtait seulement au plaisir rare de cette trêve hors du monde que le brasier sur écran-prompteur crapote, le soleil vire au vert et l’horizon s’obscurcit. Fini les rondes et cercles de parole, le superbus mue en tréteau ambulant pour égotrip à deux balles. Sous le regard distrait de quelques-uns, un mime d’opérette se glisse dans la peau d’une moule, suivi d’un magicien de téléshopping. Allégeance d'un metteur en scène au théâtre dionysien, où l'art et le monde ne font qu’un ? En tout cas, le tableau sonne déjà le glas de cette cohésion collective à peine savourée.


À la sortie des premières représentations du Jardin des délices en boîte noire (initialement conçu pour le plein air de la Carrière de Boulbon au dernier Festival d’Avignon), les grappes de jeunes spectateurs s’enthousiasment avec éclat pendant que quelques autres, moins jeunes, pestent en retrait. Le grief : « Il ne se passe rien. » Rien que la douceur d’un groupe organique, à l’écoute les uns des autres malgré les fantaisies et les humeurs, et déterminé à faire la route ensemble quelle que soit la destination. Un rien qui visiblement n’a pas fini de faire rêver la génération élevée à coup de confinement, d’éco-anxiété et de compétitivité banalisée.



Le Jardin des délices de Philippe Quesne a été présenté du 26 septembre au 5 octobre au Théâtre Vidy-Lausanne

⇢ les 12 et 13 octobre au Maillon, Strasbourg

⇢ du 20 au 25 octobre à la MC93, Bobigny

⇢ les 23 et 24 novembre à la Maison de la Culture d’Amiens, dans le cadre du NEXT festival

⇢ du 29 novembre au 1er décembre au Théâtre du Nord, Lille, en partenariat avec La Rose des Vents, dans le cadre du NEXT festival

⇢ les 5 et 6 avril 2024 au Carré-Colonnes, Saint-Médard-en-Jalles