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« Ah, c’est Charles de Gaulle ? » Les vacances scolaires à peine entamées, quelques lycéens feignent d’avoir oublié leurs cours d’Histoire. Et pour cause : outre la raie sur le côté et le costume kaki, les doubles hyperréalistes en bronze signé par l’artiste Philippe Ramette n’ont pas grand chose en commun avec le pontife Général. Un pied dans le vide, l’un fait l’éloge du pas de côté. L’autre a carrément quitté son piédestal pour se faire la malle – apologie du déplacement. Sur la place du Bouffay, en plein cœur de Nantes, les locaux et les premiers touristes découvrent la nouvelle édition du traditionnel Voyage, déambulation urbaine et poétique qui présente cette année un mélange d’œuvres originales et de statues issues du passé de la ville dont la manifestation n’évite pas les zones d’ombres. À même le pavé ou offertes au touché des curieux, voilà les statues exemptées de leur rôle de représentation, le temps d’un été. 


Hangar 21. Dans ces baraquements des quais de la Loire étaient stockés bananes et ananas en provenance des terres coloniales. Implantée entre ces murs, la HAB Galerie invite l’artiste franco-camerounais Barthélemy Togo à interroger cet héritage peu reluisant avec son œuvre protéiforme. En hommage aux centaines de milliers de victimes de ce système économique injuste, il sculpte un mémorial en forme d’arbre aux mains tendues. Pour rappeler le destin funeste des exilés morts en Méditerranée, un navire monumental se trouve rempli de dizaines de ballotins chamarrés, comme autant de vies perdues. 


Sur l’autre rive, la fontaine de la Place Royale, Tour Eiffel du pays nantais. Au centre d’une esplanade de pavés en granit, au point le plus haut de l’édifice, trône un Neptune de marbre. « Maman, il y a une pieuvre géante dans la fontaine ! » Sous le regard brillant des enfants, des coraux en céramique et des algues multicolores ont colonisé le piédestal de cette divinité antique. Alors que nos villes de béton sont en surchauffe, l’artiste Maen Florin voulait des statues « vivantes et fragiles », une étape essentielle à un parcours urbain en prise avec les enjeux contemporains. 


Barthélémy Toguo, Habiter la Terre, vue de l'exposition, HAB Galerie, Le Voyage à Nantes © Martin Argyroglo


À quelques pas, la plasticienne Marion Verbroom a installé ses sculptures, juxtapositions de motifs en cristal et céramique irisée dans la galerie du Passage Sainte-Croix. Ni totem ni statue, ses « carottes géologiques » proposent une autre vision de l’histoire de l’art. L’artiste dresse des colonnes aux influences méditerranéennes et antiques dont l’esthétique ornementale tranche dans les rues de l’ancien fief breton. À travers cette achronie croisant archéologie et autofiction, la jeune artiste dit « redécouvrir l’histoire de sa ville d’origine » tout en déplaçant notre regard sur son architecture locale. 


Jeux d’échelles


Attenant à la cathédrale de la ville, un jardin d’un manoir datant du XVème siècle abrite une géante de cinq mètres en roches volcaniques. Trois cœurs dans la paume, une anguille dans l’autre main, des crapauds et des serpents qui crapahutent entre ses pieds – quel mystérieux rituel ordonne-t-elle ? Immense comme les femmes sorcières de ses toiles qui chassent en meute, la peintre Sanam Kahtibi s’essaie pour la première fois à la sculpture sur invitation du festival. Son intervention n’est pas anodine : seules 7% des statues présentes dans l’espace public hexagonal incarnent des femmes, et parmi celles-ci la majorité sont des allégories. Alors que dignitaires politiques et hauts-gradés (tel le Général Mélinet dominant les hauteurs de la ville) ont squatté le bronze des siècles durant, Sanam Kahtibi fait de la place en ville à des femmes géantes, puissantes, sauvages. 


Johan Creten, La Mouche morte, Jardin des plantes, Le Voyage à Nantes 2023 © Martin argyroglo / LVAN

Autre coin de verdure : une des serres les plus remarquables du Jardin des Plantes. Ici un insecte est passé du micro au macro. La petite bête de trois mètres en simili-bronze s’appelle La Mouche Morte. Son auteur, Johan Creten, n’est pas un animalier et se présente plus volontiers comme lecteur de La Fontaine. « La mouche sur les tableaux flamands sert surtout à donner une impression de réel. La rendre gigantesque, c’est amplifier notre réalité, la mettre sous le nez du visiteur. » Allégorie de notre monde, donc. Sous cette voute de verre et de métal qui fait étuve, les jambes en l’air et la tête tournée vers celui qui la regarde, elle semble à l’agonie. Volubile, un sourire triste sur le visage, Johan Creten renchérit : « En ce moment, on est un peu tous une mouche morte, non ? » 



> Le Voyage à Nantes, exposition collective en espace public, du 1er juillet au 3 septembre à Nantes