Deux salles se font face. Par laquelle commencer ? Gauche ? Droite ? Dans cette exposition, le choix du parcours pèse. D’un côté, une décharge monumentale de crânes humains – cent précisément, en fibre de verre, de près d’un mètre de haut chacun. De l’autre, une naissance : A Girl (2006), beau bébé de cinq mètres de long, un œil fermé, l’autre s’ouvrant de moitié : premier regard sur le monde. D’une part, le portrait individuel d’un nourrisson, de l’autre une image morbide du collectif titré d’un mot, un seul : Mass (2017) – que l’on a pris l’habitude d’entendre accompagné d’un second : « extinction ».
L’artiste se fait-il plus pessimiste en vieillissant ? Non. Ce grand écart entre les extrêmes de la vie humaine fait partie de sa signature. Lorsqu’il surgit dans le paysage artistique contemporain, c’est avec deux sculptures aussi réalistes que troublantes : Pinocchio (1996), une figure juvénile, mains dans le dos, regard narquois ; puis, un an après, Dead dad, une image de la mort, sculpture de la dépouille de son père. Moins ironique que certains de ses collèges hyperréalistes – comme Duane Hanson et ses pousseurs de caddies –, Ron Mueck nous confronte froidement à l’existence : pas de cartel pour lui donner un sens. Avec tous ses personnages, le sculpteur semble construire un seul grand récit initiatique qui va du berceau au cercueil. Le vrai contraste dans cette nouvelle rétrospective se situe entre l’esthétique hyperréaliste qui a fait sa renommée, et ses dernières créations – plus simples, schématiques, épurées. À la différence du nouveau-né, saisi à la sortie du ventre, encore tâché de sang, les crânes amoncelés sont blancs, immaculés – rien à voir avec les ossements terreux des catacombes de Denfert-Rochereau, à quelques pas de là.
Les cerbères du sous-sol
De grandes oreilles, une peau nette, un menton saillant, le regard transparent : Ron Mueck pourrait être en cire lui aussi. Comme ses personnages, il ne parle pas. S’il a autorisé Gauthier Deblonde à le filmer une première fois il y a dix ans (Still Life : Ron Mueck at work, 2013), c’était à condition de ne pas briser le silence de son atelier, à Londres. Depuis, l’artiste a trouvé un cadre encore plus adapté à son désir de solitude : l’île de Wight, au sud de Portsmouth. Inaccessible aux médias, Ron Mueck a un profil rare pour un artiste de cette stature. L’Australien a commencé en autodidacte, fabriquant des marionnettes et des mannequins pour des publicitaires. S’il a besoin d’autant de calme, c’est que, contrairement à d’autres qui usent de méthodes industrielles pour leurs sculptures (Jeff Koons, à la belle époque, c’est une centaine d’employés dans une usine de Chelsea), il est resté du côté de l’artisanat. Aidé de deux assistants seulement, il passe des milliers d’heures à fabriquer ses personnages, implantant leurs cheveux un à un à l’aide d’une aiguille.
Mais, pour une fois, Ron Mueck a changé sa méthode de travail. Descente au sous-sol de la fondation. La lumière tombe. Trois silhouettes canines guettent dans la pénombre. L’idée lui serait venue d’un traumatisme d’enfance : des chiens de garde. Menaçants. Sécuritaires. Canines affutées – ils feraient éclater n’importe quel Balloon Dog. Avec cette nouvelle œuvre, l’artiste se dirige vers des procédés nouveaux. Pour réaliser ces canidés, Ron Mueck a utilisé les imprimantes 3D d’une usine spécialisée dans la construction navale, puis les a peints et assemblés de son côté. Lui qui s’est spécialisé dans la représentation d’individus seuls (voire en duo), s’essaye au groupe : moins de détails, plus de personnages. À 65 ans, Ron Mueck tourne la page de l’hyperréalisme, abandonne le portrait individuel et continue d’avancer, en toute indépendance.
> Exposition Ron Mueck, jusqu’au 5 novembre à la Fondation Cartier, Paris
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