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Qu’importent les vœux de transgression et les slogans émancipateurs : entrer dans un espace dédié à l’art contemporain, c’est accepter tout un tas de normes et suivre un programme à la lettre. Le grand écart entre la liberté de création revendiquée par l’industrie culturelle et la réalité policée de « l’expérience » artistique donne parfois le vertige. En invitant The Center for the less good idea en résidence, la Fondation Cartier nous incite à abandonner ces réflexes de spectateurs bien éduqués mais aussi nos attentes de consommateurs. Il faut se laisser surprendre par la trentaine d’artistes pluridisciplinaires originaires d’Afrique du Sud, du Bénin, de Belgique, des Pays-Bas, d’Autriche et de France qui expérimentent des formes mais surtout des interactions entre individus, créateurs et public confondus. Leur résidence d’une semaine commence avec une présentation du centre sud-africain fondé par les artistes William Kentdrige et Bronwyn Lace, débordée par une chorale improvisée. De théâtres d’illusions en expérimentations musicales, elle se termine en un festival de performances et de projections – dont une discussion autour de la dernière création de Kentdridge, The Great YES, The Great NO, théâtre musical en forme d’épopée anticoloniale. Bronwyn Lace en a des papillons dans le ventre : « Pour bon nombre de ces artistes, c’est leur première fois à Paris. » Et pour le public l’occasion inédite de découvrir un centre d’art où le mot « liberté » n’est pas qu’un vœu pieux.



Essayer, rater, essayer encore, rater encore, rater mieux


Prendre des risques, ne pas savoir ce que l’on cherche, miser sur le « mauvais cheval » en dépit du « bon sens » commun : rares voire inexistants sont les espaces qui nous le permettent, quittée la petite enfance. Quand l’artiste sud-africain William Kentdridge propose à son homologue botswanaise Bronwyn Lace de fonder un tel endroit il y a huit ans, les institutions censées soutenir la création sont en pleine désertion de Johannesburg où ils vivent et travaillent. The Center for the less good idea est d’abord une possibilité pour les artistes sud-africains de travailler, de se rencontrer et de collaborer, quelle que soit leur renommée. « Je ne savais pas du tout à quoi ressemblerait ce lieu, ni à quoi m’attendre – et je ne le sais toujours pas, admet Bronwyn Lace en riant. Mais aujourd’hui, nous formons une sorte de communauté de plus de 800 danseurs, plasticiens, metteurs en scène, musiciens, cinéastes et bien d’autres disciplines. Une communauté dynamique qui fait partie intégrante de la vie locale. »



Décoloniser pour humaniser


The Center for the less good idea est surtout l’occasion de laisser leur chance aux idées et aux histoires qui passent sous les radars des institutions parce qu’issues de la périphérie. « Nous consacrons beaucoup de temps et d’énergie à faire mûrir ces idées, parce qu’elles sont bonnes et méritent de rencontrer le monde », insiste Bronwyn Lace dont l’œuvre conceptuelle se nourrit de savoirs – de la physique aux sciences sociales en passant par la littérature – et de leur contexte de production ou d’exposition. Celle de William Kentdridge, plus figurative, est hantée par le colonialisme et les injustices sociales dont les ombres planent dans ses gravures, peintures ou animations. Rien d’étonnant à ce qu’ils s’emploient à « réhumaniser les institutions » à travers l’expérimentation collective. « Nous ne fonctionnons pas selon une organisation bureaucratique, précise Bronwyn Lace. Dans un collectif, on apprend l'art de l'écoute. Une écoute profonde qui rend plus réceptif à la complexité. Il s’agit de créer en écoutant plutôt que de dicter des consignes. » The Center for the less good idea ressemblerait aux « institutions qui n’ont jamais été construites ou qui ont été rayées de l’histoire » par les dominants. « Pour ceux qui ont subi l’Apartheid, un tel lieu ouvre des opportunités extraordinaires ! »



The center for the less good idea, en résidence du 14 au 20 mai à la Fondation Cartier, Paris

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