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Une centaine de chaises accolées en rangs serrés, tournées vers un même point central. Dans la plus pure austérité d'un concert expérimental, le dispositif imaginé par le musicien Ted Hearne et le metteur en scène Daniel Fish glisse déjà un caillou dans la godasse : pas besoin d'être Mary Kondō pour relever l'asymétrie de l'assemblée, disposée à la façon d'un miroir brisé. En surplomb, quatre écrans enserrent l'agora et achèvent de troubler l'apparente ordinarité de la scène. Sur le prompteur, un protagoniste mystère se pique de posts pythiques depuis un fichier code, sans contexte. Bientôt, deux visages en format XXL apparaissent sur les écrans, scrutant silencieusement la communauté en présence. À moins qu'ils ne consultent, à travers nous, un contenu numérique qui nous échappe ?

Incursion discrète dans l'assemblée, quatre solistes – chacun l’unique porte-voix du contingent de spectateurs dans lequel il est placé – éclosent dans les rangs, bientôt rejoints par un orchestre éthéré, camouflé dans les coulisses d'un arrière-écran. À la virtuosité des interprètes, gonflant les propos du tchat par un jeu d'échos, de scansion ou de vibrato, le concert symphonique live redouble d’intensité et gagne l’espace entier. Tantôt majestueuse, tantôt suave ou menaçante, la partition lyrique module et déforme le texte. De cet excès méthodique, l'oreille sature rapidement, entravant la réflexion au profit d'une pure réception sensitive. Sur le prompteur, la violence s’étale. Il est question d’attaques, de « chiens » à abattre, de colis piégés et d’enfants terroristes. Sur les écrans vidéo, des visages anonymes, toujours plus accablés, ou concernés par le contenu défilant sous leurs yeux. Ce qu'ils observent nous échappe, laissant pour seul indice l'impact suscité sur nos immenses semblables aux mines si dépitées.

Et c'est précisément dans cette épreuve imposée à l'auditoire que The Source réalise son coup de maître. Ostensiblement draguée par la virtuosité de la composition musicale, l'oreille souffre autant qu'elle écoute, engageant un bras de fer inégal avec l'esprit. Par un simple plan de salle, par l'orientation d’un siège ou par l'appartenance spatiale à un régiment de spectateur·ices, le regard se surprend à préférer le confort de la vue frontale plutôt que l'alerte à 360 degrés nécessaire pour intercepter le flux d’informations hétérogènes émises toute à la fois par le prompteur, ses crieurs et par chacun des quatre écrans. Et par le seul arbitraire d'un choix de place, voilà que la proximité directe d'un·e interprète nous ramène à la source brute d'une voix humaine derrière la désincarnation de l'auto-tune.

Cacophonique, accablant et séducteur à outrance, The Source transfigure les biais de perception et de propagande 2.0 par un usage parcimonieux des archives d'interventions militaires en Irak et en Afghanistan, leakées par la lanceuse d'alerte Chelsea Manning en 2013. Surtout, le spectacle-concert esquive avec habileté le piège d'un énième tableau catastrophe, préférant mobiliser in situ le pouvoir contagieux de l'empathie, source de résignation derrière la solitude d'un écran, brasier féroce d'indignation et de soulèvement lorsqu'elle se conscientise en émotion partagée. De quoi autoriser l'espoir, à l'ère des massacres en live Instagram, que les cibles humaines ne seront plus rendues à l’état de vermine, et que les conséquences d'un lâcher de bombe ne seront plus réductibles à une innocente partie de console.




The Source de Ted Hearne et Daniel Fish, a été présenté les 27 et 28 septembre au Maillon, Strasbourg, dans le cadre du festival Musica

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