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Alors que Jean-Jacques Aillagon consultait à nouveau, hier après-midi, sans grand succès apparent, la journée du 3 juillet a été marquée par de nouvelles actions, prises de positions et annulations de festivals. Libération a publié en pages « Rebonds » un texte signé par une centaine d'artistes (mis en ligne voici quelques jours su mouvement.net) qui demandent au Premier ministre de « surseoir » aux modifications du statut des intermittents, de « nommer un médiateur qui ait la confiance et l'estime de toute la profession » et de « (s') engager publiquement à encourager les partenaires sociaux et le Medef à se remettre au travail ».
Tard dans la soirée, des intermittents ont perturbé l'enregistrement de l'émission spéciale « centenaire du Tour de France » sur France 2, réalisée depuis le parvis de l'Hôtel de Ville à Paris. Pendant qu'un millier de manifestants étaient canalisés place du Châtelet, la fédération CGT du spectacle a obtenu qu'un temps de parole soit octroyé à son délégué, Jean Voirin.
Sur le front des festivals, de nouvelles annulations ont eu lieu ; c'est ainsi le cas du festival Scopittone à Nantes et des Estivales de Perpignan. A Antibes, une représentation de La Traviata a été empêchée. Eve Ruggieri, directrice artistique de Musiques au cœur, a cependant pris fait et cause pour les intermittents. Toujours dans les Alpes-Maritimes, les Studios Victorine, où sont tournés Nice People ont été cambriolés ; mais hélas, les intermittents n'y sont apparemment pour rien.
L'incertitude plane sur la tenue des Francofolies à La Rochelle et du festival des Vieilles Charrues à Carhaix ; mais c'est naturellement vers le Festival d'Avignon que se tournent aujourd'hui les regards. Deux attitudes s'opposent, entre les tenants d'une ligne « dure » qui préconisent une grève qui empêcherait de fait le déroulement du festival ; et ceux qui pensent que le festival doit malgré tout avoir lieu. Il faut dire que Bernard Faivre d'Arcier, actuel directeur du Festival d'Avignon, a été particulièrement maladroit dans la tribune qu'il a publiée dans les pages du Monde (1er juillet), laissant entendre que les intermittents étaient incapables de comprendre l'accord qui les concerne, s'en prenant explicitement à la CGT, comparant Avignon à « une compétition internationale d'athlétisme », et n'envisageant le public que comme client et « usager ». Si ce texte voulait calmer les esprits, il a surtout contribué à jeter de l'huile sur le feu. Et ce ne sont pas les dernières interventions d'Ariane Mnouchkine et de Patrice Chéreau, venus faire la morale aux techniciens et artistes qui travaillent en Avignon, qui ont arrangé l'ambiance !
Dans ce climat tendu, où rien ne peut être énoncé simplement, on aimerait pourtant dire ceci : le festival d'Avignon doit avoir lieu ; le festival d'Avignon aura lieu ! Il ne s'agit pas tant de préserver d'une grève qui se généralise des spectacles en particulier (pourquoi là et pas ailleurs ?), mais de prendre acte de l'absolue singularité qui est celle du festival d'Avignon. Quelle que soit « l'affiche », plus ou moins excitante, Avignon est devenu beaucoup plus qu'un rendez-vous culturel ; une extraordinaire agora à ciel ouvert. Là comme nulle part ailleurs, des artistes, des techniciens, des professionnels de l'action culturelle, des politiques, et des publics viennent y voir des spectacles mais aussi y débattre, y rencontrer d'autres spectateurs. Lieu d'émancipation des corps relâchés, Avignon est en outre, le temps du festival, un formidable lieu de parole. Il y a là, pour le mouvement des intermittents, une gigantesque caisse de résonance, mais pas seulement : c'est peut-être là que peuvent se tisser de nouveaux liens, entre artistes et enseignants, salariés, syndicalistes, etc.
On comprend fort bien qu'au fond, une annulation pure et simple du festival d'Avignon arrangerait le ministre de la Culture et le gouvernement Raffarin ; cette annulation empêcherait le débat démocratique d'avoir lieu ! La menace de la grève, et la grève effective, fort utiles ailleurs, se retourneraient dans le cas d'Avignon contre le mouvement lui-même. C'est en fonction de ces paramètres exceptionnels que le festival d'Avignon doit avoir lieu. Comment ? Il appartient aux artistes et techniciens qui y travaillent d'en décider. Faut-il empêcher des spectacles, ou simplement fixer certains jours de grève ? Faut-il annuler les représentations prévues, mais les remplacer par une autre occupation des plateaux ? Il est trop tard, de toute façon, pour imaginer que le Festival d'Avignon ne sera pas profondément transformé par le conflit. Pour répondre à Bernard Faivre d'Arcier, il n'y a lieu ni de « sauver », ni de « brûler » le festival d'Avignon. Il y a juste lieu de savoir et d'éprouver ce qui, dans ce feu qui brûle, peut aussi sauver les idéaux dont le festival d'Avignon reste, malgré tout, dépositaire.

Jean-Marc Adolphe,
4 juillet 2003


Nota Bene – Communiqué reçu à Mouvement : « En concertation avec les techniciens du In et du Off sur Avignon, un point de chute a été défini pour accueillir les personnes qui se rendent à Avignon.
Sans démobiliser les gens qui oeuvrent sur d'autres festivals, Avignon représente pour le gouvernement un symbole qu'il nous faut maîtriser et toutes les forces disponibles seront les bienvenues pour que ce festival reste entre les mains des professionnels du spectacle et pour que ce soit les artistes et techniciens qui décident des actions à mener! La famille Morales, met à disposition son chapiteau de 500 places!
Ce chapiteau, situé sur l'île de la Berthelasse, servira en dehors des heures de représentations, de lieu d'accueil, d'information, de forum... Il sera opérationnel dès le 6 juillet! »

PRISES DE POSITIONS

Le débat doit être porté au niveau politique

L'équipe du festival Scopitone, qui vient d'être annulé à Nantes, déclare :
« Nous considérons que le débat doit être porté au niveau politique, avec le soutien entier de la population. Il s'agit de savoir si nous nous dirigeons ou non vers une culture à l'anglo-saxonne, avec quelques grandes institutions patrimoniales (opéras, théâtre, art lyrique, musées) financés par la puissance publique et le reste organisé par les industries culturelles. La réforme de l'intermittence, telle qu'elle est programmée par le MEDEF et le Ministère de la Culture, poussera notre pays dans cette direction et lui enlèvera sa diversité et sa richesse artistique enviée par le monde entier. En effet, les arts de la rue, les musiques actuelles et traditionnelles, la danse contemporaine, les arts visuels qui ne se situent ni dans la sphère institutionnelle publique, ni dans le secteur marchand, seront purement et simplement laminés. Parmi eux la grande majorité des artistes programmés à Scopitone ».

Jouer malgré tout...
De l'équipe du Théâtre du Peuple, à Bussang :
« Le réaménagement du statut des intermittents du spectacle imposé par les représentants du patronat a rencontré l'assentiment de syndicats minoritaires et, par la voix du Ministre de la Culture, Monsieur Aillagon, la bienveillance du gouvernement. Toute l'équipe du Théâtre du Peuple se joint à l'ensemble de la profession pour exprimer son indignation face à une mesure qui aura pour conséquence immédiate de précipiter nombre d'entre nous dans la précarité, voire même plus. Néanmoins, nous avons décidé de jouer malgré tout. L'interruption de la saison 2003 serait fatale à la suivante. La préservation du Théâtre du Peuple en tant que lieu de création doit être notre premier souci, au nom du public, des artistes et des techniciens, et vu les circonstances actuelles, c'est une priorité absolue ».

Un naufrage culturel et social
Le syndicat SUD-Culture communique :
La volonté affichée par le gouvernement, à travers les récentes déclarations du ministre de la culture et de celui des affaires sociales, d'agréer au plus vite l'accord minoritaire concernant le régime d'assurance chômage des intermittents, constitue un pas supplémentaire dans une
politique générale de remise en cause des acquis sociaux, de précarisation du salariat et de destruction des structures de solidarité sociale.
Bien loin de s'attaquer aux dérives et aux abus patronaux observés dans le secteur culturel (audiovisuel en particulier), cette réforme entraînera de fait la disparition de plus d'un tiers de ces professionnels de la culture et celle de centaines de productions et de compagnies parmi les plus innovantes à travers le pays.
Face à ce naufrage culturel et social, M. Aillagon affirme qu'un dispositif sera rapidement mis en place "pour aider les plus fragiles". A l'heure même où le budget de la culture et de l'audiovisuel est complètement laminé, comment croire une seule seconde en cette promesse!
Aujourd'hui, c'est bel et bien une culture créatrice, indépendante, diversifiée et ouverte qui est en danger de mort. Une culture trahie par un ministre pour qui les préceptes libéraux et marchands semblent de plus en plus tenir lieu de seule politique ».

Ce mouvement concerne toute l'économie du spectacle vivant
Dans un texte commun, l'Afijma (L'Association des Festivals Innovants en Jazz et
Musiques Actuelles) et la FSJMI (Fédération des Scènes de Jazz et des
Musiques Improvisées) affirment
:
« L'Association des Festivals Innovants en Jazz et Musiques Actuelles (AFIJMA) qui regroupe 32 festivals français et la Fédération des Scènes de Jazz et des Musiques Improvisées (FSJMI) qui fédère 21 scènes, expriment leur totale solidarité avec les intermittents en grève. Les signataires apportent leur soutien à ce mouvement qui ne concerne pas seulement les intermittents, mais toute l'économie du spectacle vivant (aujourd'hui en péril) et affirment avec force que l'artiste, et les métiers du spectacle vivant en France doivent conserver leur statut particulier. Cela correspond non pas à un privilège mais à l'exercice spécifique d'une fonction sociale qui comporte des différences profondes avec le secteur
commun. (...) Il apparaît clairement aujourd'hui (et d'une très grande urgence !) que ce
statut spécifique doit être étudié dans sa globalité, sous la tutelle du Ministère de la Culture et avec toutes les organisations représentatives du milieu culturel, pour déboucher sur un véritable statut de l'artiste et des métiers du spectacle. Ce qui implique que le gouvernement suspende dès maintenant l'application de cet accord et que le Ministère de la Culture mette en place les structures nécessaires à une réflexion profonde sur le statut des artistes et des métiers du spectacle vivant ».

Michel Audureau, Président FSJMI, et Armand Meignant, Président AFIJMA

Proposition pour la mise en place de caisses de solidarité
Patrice Caratini, Hélène Labarrière et Dominique Répécaud sont les premiers co-signataires du texte suivant :
« Les luttes sociales ont un coût. Les compagnies de théâtre et de danse, les orchestres et autres collectifs d'artistes qui ont pris la décision d'annuler leur spectacle et s'appuient pour la plupart sur des structures associatives vont très vite se trouver face à des déficits impossibles à résorber. Paradoxe d'un combat qui nous conduit à mettre en péril les outils de production que nous avons souvent bâtis de nos propres mains et dont nous sommes les premiers défenseurs.
De la même façon, de nombreux grévistes se trouvent confrontés à des problèmes financiers. Au delà de la perte de salaire, beaucoup d'entre eux engagent où ont engagé des frais (déplacement, hébergement ou autres) afin d'être présents sur leur lieu de spectacle et entamer un dialogue avec le public, les organisateurs, la presse ou monter toute autre forme d'action. À la perte de salaire s'ajoutent des dépenses imprévues.
Pour esquisser une solution à ce problème, nous proposons ici la création de « caisses de solidarité ». Ces caisses, dont l'objet serait de collecter l'argent et le redistribuer aux plus fragilisés, pourraient être alimentées par des dons venant de toutes origines (soutien du public, institutions culturelles, personnels permanents du spectacles, etc.), notamment de tous ceux qui ne sont pas en grève pour différentes raisons mais souhaitent s'inscrire dans l'action. (...) La mise en place de caisses de solidarité pourrait s'effectuer assez simplement en fonctionnant par « familles », autrement dit par regroupement de personnes capables de se reconnaître dans un domaine d'activités, de s'identifier, de se faire mutuellement confiance et de s'organiser, chaque famille confiant la gestion de sa caisse à une association-relais choisie parmi les siens.
(...) Pour initier ce mouvement, nous proposons ici, dans la famille Jazz et Musiques Improvisées, la création d'une première caisse de solidarité. L'association-relais serait l'Union des Musiciens de Jazz » .

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