De quel soulèvement s’agit-il au juste ? Peut être celui de la jeunesse, au sens large d’exclus et de substituts au prolétariat ? Tel le mouvement du 22 mars par les étudiants de Nanterre, qui mirent le feu aux poudres en 1968. Mais que soulever ? Les bras, les jambes, les épaules, comme tout un chacun, comme un danseur ? Des problèmes, des questions ? Un lièvre ? Des poids ou des haltères ? De la poussière, du vent, ou d’énormes pierres comme celle du Sisyphe revu par Albert Camus, auteur si cher à Tatiana Julien. Le mot est polysémique, ainsi que l’observe Hegel lorsqu’il analyse le concept d’Aufhebung, à la fois abrogation, négation et conservation. De tout cela ou presque, la chorégraphe traite dans sa création présentée pour la 16e édition du festival Instances, dans le bâtiment fraîchement rénové de l’Espace des Arts.
De prime abord, le tribut de Tatiana Julien à Mylène Farmer a de quoi surprendre si l’on s’en tient à cette musique de variétés qui a pris un coup de vieux. Mais c’est sur le titre Désenchantée, sorti pendant les “années fric” de François Mitterrand, que la chorégraphe cite abondamment la gestuelle de la chanteuse et s’approprie ses tics modern-jazz. On ne peut que noter l’engouement des chorégraphes actuels pour la pop la plus kitsch ou pour les prémices de la techno, ce qui explique en partie l’emballement de Tatiana Julien pour une chanteuse de ces années 80.
Soulèvement de Tatiana Julien p. Hervé Goluza
Engagé à cent à l’heure sur un parquet de danse aussi étroit qu’un catwalk de défilé de mode, le Soulèvement de Tatiana Julien désoriente un temps le public avant de le conquérir et de le captiver totalement. Le mot désorienter est à prendre à la lettre, les spectateurs étant distribués des deux côtés d’un miroir à deux faces : les uns faisant front aux autres ou faisant office de décor de fond. Saturé de sons, de cris, de monologues de personnages célèbres - André Malraux, Edgar Morin, Martin Luther King, Jack Lang - ou de penseurs tutélaires de Paris 8 - de Deleuze à Rancière - de films militants, de citations dansées empruntées à Gert, Wigman ou Graham, le solo est un collage d’éléments hétéroclites. Cela, sans jamais de temps mort.
Cette démarche remet à jour, voire réinvente « l’heureuse kleptomanie » trans-avant-gardiste alors prônée par le critique d'art italien Bonito Oliva. Les citations étant plutôt des fragments que des prêches, l'un des meilleurs moments du spectacle s'est joué dans la reprise par cœur du monologue de l’écrivain Albert Camus par la voix nue, sans la béquille de la sono, de la danseuse. Tatiana Julien se dévoile, se désaltère, claque la bise sans contrefaçon à certains élus, et finit dans une glissade, en grand écart, façon danseuse de cancan.
> Soulèvement de Tatiana Julien a été crée le 16 novembre 2018 à l'Espace des Arts scène nationale de Châlon-sur-Saône ; du 22 au 27 novembre 2019 à Chaillot Théâtre National de la Danse à Paris ; les 4 et 5 décembre à la maison de la culture d'Amiens ; le 17 décembre à DSN scène nationale de Dieppe ; le 28 janvier à La Place de la Danse CDCN de Toulouse-Occitanie dans le cadre du festival ICI&LA ; les 10 et 11 février aux Halles de Schaerbeek Bruxelles ; du 3 au 7 mars au Phénix scène nationale de Valenciennes dans le cadre du festival Cabaret de Curiosités ; le 12 mars à KLAP Maison pour la danse à Marseille dans le cadre du festival Plus de Genres
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