SORTIR DU XXe SIÈCLE AVEC HERVÉ MAZUREL

l’être. Notre dedans est du « dehors à l’état plié », comme le dirait le sociologue Bernard Lahire. Notre inconscient est évidemment forgé par notre histoire individuelle et familiale, ses scènes traumatiques notamment, mais il brasse aussi tout le social-historique. D’abord à cause de la socialisation. Enfant, on intériorise le monde social de mille et une manières. Sans même nous en apercevoir, nous incorporons des façons de penser et de sentir, des gestes et des conduites, des interdits et des tabous, un certain type de régulation des émotions aussi. Toutes ces choses, qui finissent par devenir une seconde nature, c’est de l’histoire collective immémoriale sédimentée. De fait, une multitude d’êtres du passé vivent en nous sans que nous n’en ayons conscience. L’historien d’art Aby Warburg montrait que, derrière nos gestes les plus quotidiens, il y a parfois deux mille ans d’histoire qui nous relient à l’Antiquité.

Il n’y aurait donc aucun sens à distinguer l’individu de la société ?

Cette opposition individu/société, que redouble le divorce du psychologique et du sociologique, est ruineuse d’un point de vue scientifique. Elle nous empêche de voir que la singularité même des individus ne se construit jamais que dans et par des rapports sociaux. Le sociologue Norbert Elias souligne que l’idéal du moi est toujours pétri de l’idéal du nous – la famille, le quartier, la nation –, et ce malgré le fait que les rapports d’équilibre entre le « je » et le « nous » ne sont p