LA CREOLE a sept ans, comment est né le projet ?
Un vernissage devenu fête ! En 2013, Vincent Frederico-Colombo et moi nous rencontrons, rapidement on travaille ensemble sur une série, Creole Soul, alliant mode et photographies, qui interrogeait la place de l’antillanité et ses représentations en France. Quelques années plus tard, un vernissage est prévu dans une petite boutique à Paris, on invite l’artiste Crystallmess pour mixer et beaucoup d'amis clubbers. Et la magie a opéré : ça a donné une fête hybride absolument pas prévue. On s'est dit : « faisons exister ce mouvement-là sous forme de soirée ».

Quel manque ces soirées sont venues combler dans la nuit parisienne ?
On était habitués aux clubs et on savait ce qu'on ne voulait plus vivre. Quand on a commencé, les soirées qui célébraient à la fois les diasporas afro-caribéennes et la queerness existaient peu. Qu’on soit en claquettes ou en paillettes, l'idée c'est d'accueillir les gens avec la même bienveillance et dans toute leur singularité, sans distinction raciale, sociale. Mais il nous semblait essentiel de créer un espace où les minorités seraient finalement en majorité, sans exclure ceux perçus comme la « norme ». Je pense qu'on a ouvert une boîte de Pandore, d’autres collectifs ont émergé depuis. Mais c'était nécessaire que Paris réalise qu'il y avait plein de choses différentes et riches à proposer dans les clubs, et que ces espaces étaient vitaux.

Vous vous rapprochez du concept de « créolisation » d’Edouard Glissant. Comment cela peut-il se traduire dans la fête ?
Le concept de Glissant découle de l’histoire des territoires créoles. Bien sûr, elle est liée à l’histoire violente et meurtrière de la colonisation et de l’esclavage, cependant, c'est dans ce contexte qu'une culture nouvelle a émergé. Des gens de cultures différentes ont été amenés à se rencontrer, à s'entrechoquer, créant une nouvelle culture rhizomique, riche et multiple. On a repris cette idée et on l’a transposée à la fête. Ce moment de célébration, de tous-ensemble, c’est une autre façon d’illustrer la créolisation. Sans que ce soit ouvertement dit, nos soirées sont comme une sorte de performance qui illustrerait parfaitement la philosophie de Glissant, et à laquelle chacun participe : les DJs, les danseur·euses et bien sûr le public. Comme si, et sans que nous n'ayons pu le prévoir, cette créolisation avait naturellement pu opérer avec un juste équilibre dans cet espace que nous avons ouvert. Ça a permis de tirer un fil supplémentaire, de toucher plus de monde. Les gens se sont approprié ce concept, certains sans même s'en rendre compte. On avait envie de créer un espace pour célébrer cette rencontre, tout en partant d'un socle musical et culturel, de l’afro-descendance, la caribéanité, la queerness. Pour un DJ, le simple fait de mixer répond à cette idée de créolisation. Les sonorités afro-latino-caribéennes se croisent avec la techno, le zouk avec le gabber et créent un nouveau son. Et sur le dancefloor, les danses sont identitaires, à fortes revendications : vogging, waacking, twerk, etc.

Quand on investit des lieux qui ne sont pas le club, comment parvient-on à y insuffler la même énergie ?
On est notre propre moteur, ce n'est pas difficile pour nous d'investir des lieux parfois plus institutionnels. En 2019, on jouait au Cabaret Vert à Charleville-Mézières. LA CREOLE avait un an et demi, personne ne savait qui on était. 15 heures, ouverture de scène, les gens venaient de finir de manger et bronzaient sur la pelouse où on allait jouer. Autant dire que ce n'était pas gagné d'avance. On a mis le feu à la scène et tout le monde s’est mis à danser. Même si tu ne sais pas danser, même si tu n'en as pas l'habitude, c'est un appel, tu ne peux pas faire autrement.
LA CREOLE, le 14 février de 22h à 1h dans le cadre du Festival Everybody au Carreau du Temple, Paris
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