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De la sérénade nocturne jouée sur des cordes sensibles, on connaît la chanson. En 1934, George Balanchine adapte le genre au ballet sur une partition de Tchaïkovski pour ses élèves ballerines newyorkaises. Si la figure tutélaire du chorégraphe néoclassique traverse en filigrane les trois pièces du programme présenté par le Ballet de l’Opéra du Rhin, le directeur de la compagnie Bruno Bouché a convié deux de ses artistes, Gil Harush et Brett Fukuda, à revisiter chacun leur tour la sérénade au pluriel contemporain.


Dans Muse Paradox, sa première création pour la compagnie rhénane, Brett Fukuda se frotte à l’une des œuvres phares du chorégraphe russo-américain – et aux cordes de Stravinsky –, Apollon musagète. La jeune chorégraphe prend le contre-pied du joyau original : ici, deux femmes, Julia Weiss et Lara Wolter, mènent tour à tour la danse entourée de trois hommes. Sur toile de fond blanche, un quatuor drapé de tuniques neutres multiplie entrelacs de bras et arabesques agiles. La géométrie aux finitions lissées place la pièce sous les auspices du maître néoclassique. Mais le renversement de perspective permet aux danseuses d’entreprendre d’ingénieux portés de leurs partenaires danseurs et les guider dans des pas de deux qui laissent affleurer leurs tourments intérieurs. Muses paradoxales, les solistes s’épanouissent dans les contradictions limpides qu’esquisse Brett Fukuda.


La création de Gil Harush tire le paradoxe vers l’aporie. Nommée d’après la Sérénade de Paul Verlaine – déclamée en ouverture sur bande enregistrée –, elle disperse dans la pénombre dix-sept interprètes, au milieu de cordes noires tombant à la verticale. Sur la mélodie satinée de Tchaïkovski, le chorégraphe franco-israélien imprime une fade mélancolie. Toutes de noir vêtues, les silhouettes parcourent la scène sous les feux déclinant du doré à l’ambré. Mais la pièce manque de résistance et de densité chorégraphique. Malgré des fulgurances dans les ensembles, les univers chorégraphique et musical s’épousent pour mieux se désunir, laissant de leur passage un amer sentiment de vacuité.


Pour le reste, la création de Bruno Bouché conjugue l’amour au singulier. Sept interprètes s’avancent un par un dans le noir, guidés par la voix de Connie Converse puis la mélodie de Tchaïkovski, pour entamer des soli au phrasé fluide et dense. La composition chorégraphique prend habilement appui sur les mouvements musicaux pour monter en relief, entre légèreté et célérité. Les images oniriques – la jupe de tulle d’Alice Pernão qui s’étend comme une vague d’azur de cour à jardin – se mêlent aux variations solitairement languissantes – où se dégage la figure d’Audrey Becker montée sur pointes. La pièce s’achève sur un pas de deux masculin athlétique et sensuel, porté avec une force sensible par Khanya Mandongana et Marin Delavaud. Pari tenu pour le directeur-chorégraphe qui signe une pièce équilibrée et un programme de créations tout en contraste, où les artistes du Ballet de l’Opéra du Rhin rayonnent en clair-obscur.



Sérénades de Brett Fukuda, Gil Harush et Bruno Bouché

⇢ du 13 au 18 janvier à l’Opéra national du Rhin, Strasbourg

⇢ du 26 au 28 janvier à La Filature, Mulhouse

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