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Parfois, il ne suffit pas de savoir pour comprendre. Et c’est peut-être ça que les pièces-fleuves nous rappellent : certaines vérités doivent être éprouvées et passées par le corps. Au bout des cinq heures d’Absalon, Absalon !, copieuse adaptation scénique d’un classique de la littérature moderniste, l’impression domine d’être minuscule et de n’avoir pas eu assez de sens pour appréhender l’immensité de ce qui s’est joué en plateau. L’impression d’être écrasé par ces histoires de violence qui se répètent de génération en génération sans que personne ne parvienne à en casser le cycle. Et puis, un goût plus amer : la certitude qu’ils sont nombreux, ceux qui n’ont pas besoin de pièces de théâtre pour porter ces blessures dans leur chair tous les jours, et qu’ils s’en passeraient bien. 

 

Là, il faudrait résumer. C’est l’histoire de Thomas Sutpen, un homme qui part de rien mais qui veut tout avoir – une maison pharaonique, le pouvoir, la richesse, la respectabilité –, et surtout que ça dure au-delà de sa mort – donc une descendance (biblique évidemment) et donc des femmes. Seulement pour ça : lui donner des fils. Il est parti de rien mais ici c’est l’Amérique, et celle du Sud avant la guerre de Sécession qui plus est, alors tous les coups sont permis. Et qu’importe si certaines vies deviennent des marchepieds : ici, elles n’ont pas toutes la même valeur. 

 



© Alexandre Akye




Il faudrait décrire aussi, créer des images. C’est plus compliqué, tant Séverine Chavrier diffracte les pages du roman de William Faulkner en espaces-temps enchâssés, plus chargés symboliquement qu’un verset de l’Ancien Testament. Prenons le manoir pharaonique qui nous fait face : il se fait billboard géant, écran de cinéma, échafaudage, maison de poupée. L’intrigue centrale est jouée sous nos yeux puis narrée par une vieille tante à un descendant qui mènera l’enquête plus tard, multipliant les théories avec ses potes. Dans les voitures, on parle de crypto-monnaie comme on signe un mariage arrangé. Quand un gamin meurt à la guerre, on ne sait plus bien qui il est : Gavroche, de la chair à canon sudiste ou un ado de gang bien de notre époque ? Sur scène, plusieurs actions se jouent simultanément, secondées par des caméras qui filment en direct ; dans les sous-sols, en parallèle, on s’affaire à des tâches inquiétantes qui tirent autant du côté de la plantation que du labo clandestin de meth. Des dindons passent. XIXsiècle, présent, futur ? La question n’a pas de sens : le passé ne passe pas.

 



© Alexandre Akye




Et pourtant, malgré tout, la pièce est drôle. La nostalgie de certains dialogues angoissés répond comme en miroir à d’autres, alcoolisés et absurdes. Parce qu’on ne sait plus quoi faire de cet héritage de racisme et de misogynie, de cette blanchité racisante et patriarcale. Mais qu’il faudra bien en faire quelque chose – en évitant de la remettre au gout du jour, comme c’est visiblement à la mode – si on veut que quelque chose de nouveau advienne. Et que ce serait bien, aussi, de poser ces questions sans passer par l’Amérique ni les métaphores, mais depuis l’Europe et avec tout le génie de Séverine Chavier. Parce qu’ici aussi, on meurt des mêmes maux. 



Absalon ! Absalon ! de Séverine Chavrier a été présenté du 18 au 29 janvier à la Comédie de Genève


⇢ du 26 mars au 11 avril à l’Odéon, Paris

⇢ les 22 et 23 avril au CDN Orléans Val de Loire

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