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Pourquoi faut-il que tout le monde hurle dans les pièces de Vincent Macaigne ? Que l’intensité soit si intensément intense ? La question ne se posait pas avant Avant la terreur. 2011 : au moment de rejoindre le Théâtre Chaillot, dans la très nombreuse foule de jeunes qui allait voir Au moins j’aurai laissé un beau cadavre, la reprise d’Hamlet qui avait fait fureur au Festival d’Avignon quelque mois plus tôt, il y avait de la fébrilité, de l’excitation même. Et en sortant bousculée, cette pensée : « La vache, ça peut être ça aussi, le théâtre ? » 


Alors quoi ? Alors que tout est encore là – les cris, le sang, les tirades tragiques entrecoupées de grotesque, l’irrévérence, la vitesse. Quoi, pour être aussi anesthésiée devant Avant la terreur ? Aurait-on donc vieilli ? Ce doute se fait d’autant plus pressant que dans cette nouvelle adaptation de Shakespeare, encore une fois très libre, le metteur en scène pose Richard III comme un enchâssement de conflits générationnels. Catherine, Clarence, Richard : au fond, ces enfants-boomer pourris gâtés se battent moins pour la couronne que pour l’amour de leur mère. Contrairement à leurs parents, les petits-enfants, Andrew-Greta Thunberg en tête, s’inquiètent de l’effondrement en cours et font briller leur innocence. Ils auraient pu ouvrir une voie pour sortir de l’engrenage du drame. Mais sur scène, comme ailleurs, ils seront à leur tour sacrifiés sur l’autel du pouvoir et du maintien de l’ordre établi. 


Sur scène, comme ailleurs : l’enjeu se noue peut-être davantage là que dans notre devenir de spectateur désabusé. Ce qui en 2011 était outrancier, provocateur, magnifiquement too much ne semble plus, en 2023, être autre chose qu’un reflet très premier degré du monde tel qu’il va. Quand tous les curseurs de la violence, du mépris et de l’indécence sont poussés à fond les ballons, comment penser qu’exacerber encore les choses peut valoir lieu de critique ? N’a-t-on pas déjà assez de Trump, de 49.3, de climato-sceptiques et de conseillers politiques dézinguant les services publics avant de se recaser dans le privé ? Que vaut l’intensité d’un spectacle, quand elle ne fait plus que frôler la température de la très réelle urgence ? 



© Simon Gosselin


Mais encore : que vaut l’intensité, quand elle croit pouvoir indéfiniment se répéter à l’identique, durer ? Ici, pas question d’interroger le fait que, de création en création, Vincent Macaigne reproduise le même spectacle, mais plutôt de se demander, avec le philosophe Tristan Garcia, si la promesse que le metteur en scène nous fait, d’un impeccable shoot d’adrénaline, indéfiniment reproductible, n’est pas celle de la modernité : aller vite, toujours plus vite, vivre à fond, ressentir et vibrer toujours plus fort. La promesse d’un monde, donc, que l’artiste prétend très précisément critiquer, voir vouloir détruire. 


On peut déblatérer longtemps de « thème » et de « sujet » quand il est question d’art, mais la forme et le traitement importent aussi, s’ils ne sont pas encore plus importants. Comme le dit la poète Nathalie Quintane dans une impeccable formule : « J’avais pourtant bien spécifié je ne sais plus où que quand vous dites quelque chose de gauche dans une forme de droite c’est comme si vous disiez quelque chose de droite. » Pourquoi alors faut-il que tout le monde hurle dans les pièces de Vincent Macaigne ? Parce que le metteur en scène n’est pas sorti du XXe siècle. Il y a mieux à faire que de laisser briller Andrew-Greta Thunberg-Max Baissette de Malglaive : lui passer le relai et la parole. Vivement la relève.



Avant la terreur de Vincent Macaigne

⇢ du 5 au 15 octobre à la MC93, Bobigny, dans le cadre du Festival d'Automne à Paris

⇢ du 7 au 9 novembre au Tandem, Douai

⇢ les 16 et 17 novembre à Bonlieu, Annecy

⇢ du 22 au 25 novembre au TNB, Rennes, dans le cadre du festival TNB

⇢ du 19 au 21 avril au Théâtre Vidy-Lausanne

⇢ les 9 et 10 mai aux Théâtres de la ville de Luxembourg

⇢ du 16 au 23 mai aux Célestins, Lyon

⇢ les 29 et 30 mai à La Comédie de Clermont, Clermont-Ferrand

⇢ du 15 au 27 juin à La Colline, Paris

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