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En 1971, un quiproquo provoque ce qui est resté dans l’histoire sous le nom de diplomatie du ping-pong : lors des championnats du monde se tenant au Japon cette année-là, le capitaine de l’équipe américaine, fumeur de joint notoire, se trompe de bus en se rendant sur le site de la compétition. À l’arrivée, après quelques hésitations, le capitaine chinois pose avec lui devant les photographes et le cliché fait le tour du monde. Profitant de l’aubaine, les services diplomatiques américains renouent avec l’empire du Milieu alors isolé après la révolution culturelle et Nixon rencontre Mao l’année suivante.  


C'est ce contexte que dépeint Valentina Carrasco à coup d’allégories sportives dans sa mise en scène de Nixon in China, opéra de l’Américain John Adams datant de 1987. Dès l’ouverture, des matchs se succèdent en plateau jusqu’à former un grand ballet pongiste aux atours baroques qui s’achèvera en pugilat infantile. Au fil des trois actes, les raquettes se feront pancartes, les tables parois et les balles flocons de neige ou rideaux de scène. Ancienne collaboratrice de la Fura Dels Baus, la metteure en scène argentine puise dans ce croisement politico-sportif pour produire des images puissantes, et donne du sens et de la fluidité à une analogie qui aurait facilement pu s’épuiser en chemin.


D’un livret tortueux (signé par la poétesse Alice Goodman) celle-ci tire des tableaux bien sentis sur les tiraillements géopolitiques de l’époque. Tandis que Mao et Nixon discutent en bibliothèque, dans les sous-sols l’armée populaire de libération brûle des livres et les intellectuels « révisionnistes » se font maltraiter. Dans un théâtre chinois, Henry Kissinger viole une danseuse enchaînée dans un opéra d’inspiration tropicale. Entre ces images chocs, la mise en scène opère quelques détours documentaires : ici des photographies d’actes de torture pendant la Révolution Culturelle, là un court documentaire sur un professeur de musique détenu plusieurs années dans un camp de rééducation, comme intermède en plein spectacle.


C’est ce tissage qui donne aujourd’hui à Nixon in China une éclatante contemporanéité, et son indémodable partition musicale y contribue aussi. Imbibé des maîtres du genre – Philip Glass ou Steve Reich en tête –, John Adams s’en affranchit pourtant et envoute au gré de motifs hypnotiques et d’arias aux harmoniques vives : l’un prêté à l’ancienne première dame américaine Pat Nixon (Renée Fleming) au second acte, l’autre à l’ancienne starlette Jian Qing devenue Madame Mao (Kathleen Kim) au troisième. Sans doute emporté par sa passion pour la composition d’Adams, la direction musicale de Gustavo Dudamel déborde de générosité au risque de couvrir les parties vocales – l’orchestre oublie parfois qu’il s’agit d’un opéra et non d’une symphonie. Cette mise en scène pleine d’empoigne confirme toutefois Nixon in China comme un cas rare d’opéra poétique embrassant explicitement – et avec succès – le politique.


> Nixon in China mis en scène par Valentina Carrasco jusqu’au 16 avril à l’Opéra Bastille, Paris


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