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Dans le public, une femme d’une cinquantaine d’années tape deux mots dans la barre de recherche de son téléphone : Kurt Cobain. Elle zoome sur une photo du chanteur et souffle à sa voisine : « C’est bien lui. » Sur scène, un des chanteurs porte une chemise blanche boutonnée jusqu’en haut et imprimée d’une image iconique du rockeur, en concert à New York. Le spectacle qu’elles viennent de voir, U. un canto, reprend des chants polyphoniques du nord de l’Italie datant de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Agrémenter un corpus traditionnel de touches pop, le chorégraphe Alessandro Sciarroni en a l’habitude. Avec Iris, présentée l’année dernière au Festival d’Automne, il usait de la même recette et affirmait déjà son attrait pour le chant : en bonnet de bain et maillot une pièce, une troupe de performeurs faisaient résonner leurs voix dans la piscine de la Buttes aux Cailles. 

 

Conservateur de danses anciennes – il réactive par exemple une danse traditionnelle bolonaise dans Save The Last Dance For Me –, Alessandro Sciarroni dig aussi du côté du chant. Cette fois, de nouveau accompagné par les musiciens Aurora Bauzà et Pere Jou, l’artiste italien fusionne le Cantique des créatures de Saint François d’Assise avec des chants oubliés de son pays d’origine. Écrits dans un temps où l'anthropocène n’était pas un concept vulgarisé, ces textes parlent du monde, de sa finitude, et de notre rôle de préservation. L’actualisation de ces chants dans U. un canto fonctionne parce qu’elle est décontextualisée : ni costume ou décor pour signifier l’Italie du passé mais simplement les chanteurs répétant ensemble ou en canon, des louanges à la forêt, à l’amitié ou au soleil. Sur le fond d’une scène dépouillée, les paroles du concert apparaissent sur un écran. 

 

© Alessandro Sciarroni


Pour la première fois chez Sciarroni, les performeurs restent presque immobiles. À peine font-ils un pas simultané vers le public après chaque chant, à la suite d’un long silence. Si les corps se déplacent peu, ils n’en sont pas pour autant rigides. Sourires en coin, regards complices, balancement presque imperceptible du buste d’avant en arrière, les membres de cette chorale semblent flottants entre deux époques, absents à eux-mêmes. Ils se souviennent d’un temps lointain où les corps humains faisaient encore partie d’un tout harmonieux. De ce rapport direct au vivant, peut-être perdu à jamais, naît une grande nostalgie, la même qu’on aurait à lire la vie paysanne décrite par Jean Giono. Un sentiment d’autant plus puissant et dérangeant que dans cet éloge résonne une incantation : il faut accepter les limites humaines. Comment ne pas être frappé par la dissonance et l’anachronisme d’une telle quête ? Hier, Kim Kardashian exhibait fièrement sur les réseaux sociaux son nouveau robot humanoïde. 

 

U. un canto de Alessandro Sciarroni a été présenté du 5 au 8 novembre dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. 

 

les 30 et 31 janvier à la Bundeskunsthalle à Bonn, Allemagne. 

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