Tout juste nommé à la direction du festival d’Avignon, le metteur en scène abordait l’exercice du premier opéra avec l’humilité de ceux qui arrivent après. Tel un copiste consciencieux choisissant la bordure du texte pour laisser trace de sa lecture dans ce qu’on appelle des « marginalias », ou comme un exégète proposant une interprétation qui n’a pas vocation à faire vérité mais juste à s’ajouter à d’autres tout aussi légitimes, Tiago Rodrigues a fait le choix d’être auteur depuis la lisière. Cette lisière, ce seront les sous-titres. Sur scène, 4h40 durant, Sofia Dias et Vitor Roriz – danseurs et compagnons de longue date – saisissent un à un de grands panneaux où peuvent se lire, lettres noires sur fond blanc, non la traduction de ce qui se chante en allemand, mais un texte écrit pour l’occasion par l’artiste portugais. Dans cette scénographie aux allures de grande bibliothèque, le duo d’archivistes de tous les mondes possibles nous guide à travers l’œuvre que nous nous apprêtons à voir, préférant à la traduction les commentaires, les descriptions, voire les interprétations : « Le voyage a commencé / Traversons la frontière ».
L’idée a du génie. Dans un premier temps, elle autorise même au spectateur une forme de déprise. Non, il n’est pas nécessaire de connaître le livret par cœur pour pouvoir appréhender un opéra, ni de suivre les sous-titres avec religiosité, parfois au détriment de l’action sur scène. Un temps, on peut plonger dans la musique comme peu de fois auparavant, s’autoriser à observer la chorégraphie de l’orchestre dans la fosse. Un temps, Tiago Rodriges tient son intention : se placer du côté de ceux que l’opéra peut effrayer et leur tendre la main.
Le dispositif finit pourtant par rétablir les frontières qu’il avait vocation à effacer. La dimension théâtrale que le metteur en scène injecte – par son écriture et l’invitation qu’il a faite à ses interprètes – joue peu à peu contre l’opéra de Wagner. Hormis une scène de grâce, dans laquelle Jongmin Park, interprète du König Marke, subjugue de justesse, Tristan et Isolde reste impénétrable : un monument intouchable de l’histoire de l’art, quelque peu muséal et lointain, tout juste médiatisable.
Pour se positionner à la lisière, peut-être faut-il d’abord risquer de pénétrer l’impressionnante forêt de l’opéra. Espérons que Tiago Rodrigues s’y aventure bientôt, et nous transmette avec un amour sincère de nouvelles œuvres lyriques, comme il le fit avec tant de générosité et de simplicité pour Madame Bovary et Anna Karénine.
> Tristan et Isolde de Richard Wagner, mise en scène Tiago Rodrigues,
--> du 13 au 28 mars 2024 à l’Opéra de Lille
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