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Avant de confronter les titans de l’espace dans sa saga Star Wars, le réalisateur américain George Lucas a exploré le futur à travers un récit plus modeste : celui d’un couple prisonnier d’une dystopie orwellienne. Son premier film, le très plastique THX-1138 en 1971, dépeint une société où les émotions et le désir sont prohibés, et tous les citoyens se ressemblent. Dans cet univers stérilisé, les deux amants oseront l’impossible au vu et au su d’une surveillance omnisciente. C’est une vision semblable, quoique moins clean, qu’offre Théo Mercier dans Skinless. L’action prend place sur une plateforme d’emballages en carton, que le public contemple à hauteur de poitrine. Là, dominés par un plateau d’écrans aux tons changeants, deux hommes s’appréhendent dans une parade contrainte, douloureuse. Des combinaisons de plastique translucide les recouvrent de la tête aux pieds, s’en libérer conditionnera leurs mouvements. Quelle sensualité peut alors advenir entre ces deux humanoïdes, pris dans une poussière de débris comme dans un temps suspendu ?


Chez bien des artistes – George Lucas inclus –, un tel postulat déboucherait sans doute sur une fable écolo-humaniste convenue. Mais pas chez Théo Mercier. La force de son approche est de ne jamais trop orienter cette romance muette, tout juste sonorisée par quelques tonalités au piano. Le plasticien français, très en vue dans les arts vivants, n’y va pourtant pas de main morte. Sa scénographie immersive transpire la thématique écologique : le public et le podium de cartons central sont encerclés par d’imposants blocs de cannettes compressées – des recycleries locales les fournissent sur chaque étape de tournée. Et s’il y a bien une star en cette saison théâtrale 2024/2025, c’est le déchet : la Sud-Africaine Ntando Cele et le duo franco-catalan Baro d’Evel en jonchent eux aussi les plateaux dans leurs dernières créations. C’est connu : les poubelles ont toujours eu la cote dans les arts. Mais celles-ci ont longtemps figuré l’avilissement ou la régression, à des fins transgressives. L’urgence environnementale les charge aujourd’hui d’une symbolique éco-responsable dont Skinless s’affranchit, du moins en partie. S’amuserait-on à la décharge, finalement ?



"L'inconnu du Lac" au centre de recyclage © Erwan Fichou



Il le faudra bien, tant la submersion par nos propres ordures semble imminente. Et en orchestrant ces ébats dans un désert vicié, Mercier élabore un kit de survie charnelle plus qu’il ne commente la déchéance environnementale. La tension sexuelle monte même d’un cran grâce à la présence d’un troisième personnage, bouffon-voyeur à la peau métallisée épiant l’action depuis les barricades. Partenaire d’un futur trouple ou agent de la brigade des mœurs, rien n’est précisé, mais l’homme mystère semble émoustillé par cette paraphilie du sale. Rarement exploré dans les arts, le rapport entre sexe et déchet compte au moins un précédent, un autre premier film, portugais celui-ci. Datant de 2000 et presque entièrement muet, O Fantasma de João Pedro Rodrigues retrace l’éveil sexuel d’un jeune éboueur. Ses pulsions le conduiront jusqu’à une escapade finale à la déchèterie, tout de latex vêtu. La similarité n’est pas seulement visuelle et thématique entre l’œuvre de Rodrigues et celle de Mercier. Un humour et un homoérotisme incongrus les rapprochent, ainsi que la trajectoire de leurs protagonistes. Car c’est un même défi qui anime le fétichiste solitaire de O Fantasma et le duo plastifié de Skinless : comment baiser dans un monde de chiottes ?



Skinless de Théo Mercier a été présenté les 24 et 25 septembre dans le cadre du festival Actoral au Théâtre des Calanques, Marseille


--> du 21 novembre au 8 décembre dans le cadre du Festival d'Automne à La Villette, Paris

--> du 13 au 14 mars au Volcan, Le Havre 

--> du 2 au 4 avril aux Subs, Lyon 

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