Des gradins en bi-frontal attendent sagement le public. Une table recouverte de breuvages divise l’espace de jeu dans sa longueur. Mais le public n’est pas convié à la beuverie. Il attend face à un dormeur évanoui, serviette sur le crâne et tête gisant dans un bol d’eau. C’est François-Vincent Raspail, l’un des intellos insurgés de la Révolution de février. Aujourd’hui, l’ambiance est celle d’un lendemain de fête. Soudain déboule un groupe d’agités poussant des rugissements de hargne et de joie. On l’apprend vite, ce sont Auguste Blanqui, Louis Blanc, ou le frère et la soeur Barbès – surtout des noms de rue ou de stations de métro aux oreilles des spectateur·ices contemporain·es. Mais en ce 15 mai 1848, ces manifestant·es débarquent grognons, éjecté·es par la Garde nationale, avec le rêve inassouvi de former un gouvernement révolutionnaire. Il est midi et c’est fin de manif’ pour la troupe.
Après les intellos collabos de Edelweiss, Sylvain Creuzevault poursuit sa saga théâtrale sur l’histoire française et se penche sur le chapitre précédent dans le manuel scolaire : les luttes du XIXème siècle, Révolution de 1848 en tête. Si le précédent volet collait à la chronologie au risque de friser le didactisme, Banquet Capital prend des libertés de ton. Ici, le texte et le fait historique côtoient systématique l’absurde et la dérision. Et comme dans toute préparation d’émeute, ses personnages sont désorganisés et bardés d’incertitudes. C’est ce joyeux bordel qui fait l’enrobage comique de la pièce – une technique de mise à distance qui réussit davantage à ces révolutionnaires échevelés qu’aux fachos rabougris de Edelweiss.
Ici, les prolétaires se mettent en spectacle et leurs idées clashent. On suit d’ailleurs leur joute comme un match de foot : punchlines historiques à droite, accrochages politiques à gauche et grève générale au centre, le tout sous l’égide de la pensée de Karl Marx. Et si le metteur en scène privilégie l’austérité dans la scéno – une table, pas de décor –, c’est pour laisser la vie et le bavardage mener la danse. C’est que l’économie nous rendrait « bouteille » et que le travail à la chaîne nous ferait « pondre des œufs d’or », entend-on.
Plus qu'une révision du bac, Banquet Capital se fait diatribe décalée : à chaque nouvelle lutte déclamée, l’ironie répond. Alors bien sûr, en une heure et demie, impossible de tout retenir de cette tranche d’histoire. Mais on en conserve des tableaux chargés de sens, où les corps des protagonistes font scénographie, et chaque prise de parole révolutionnaire laisse derrière elle un écho de 2024. Dans ce trip marxiste, on se rappelle qu’un certain Dieu aurait créé, il y a quelque temps, les prénoms Capitalisme et Prolétariat. Entre eux, que trouve-t-on : une tempête, un cœur, une république ou un tambour ?
Banquet Capital de Sylvain Creuzevault a été présenté à la MC93 du 27 septembre au 6 octobre.
→ du 15 au 18 octobre au Théâtre 71 - Malakoff
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