On le sait, la cire fondue en contact avec la peau ne brûle pas. Elle fait de jolies auréoles qui craquellent tout de suite. Pourtant, quand Sorour Darabi, allongé sur le dos, commence à placer des bougies dans sa bouche, on s’inquiète. Nimbé d’une brume artificielle, il glisse un, puis deux, puis trois et toujours plus de cierges allumés entre ses lèvres pour les faire bouger, presque danser. Le performeur est plongé dans le noir, dans cette nuit fictive où il a ses habitudes. De l’autre côté de la pièce, Ange Halliwell et sa harpe fidèle, Pablo Atlar, au clavier et au contrôleur. Leur musique scintille. Le public est assis par terre, au centre. L’air trouble avale parfois Sorour Darabi. On ne le repère plus qu’à la lueur de ses bougies. Un groupe d'humains en demi-cercle autour d'une source de chaleur et de musique, voilà que remontent des souvenirs très anciens. Dans cette nuit de fin du monde, on se dit que peut-être, cela suffira à nous sauver.
Le danseur iranien quitte alors son estrade et fend la foule en brandissant ses cierges comme un pieu. Dans l’assemblée, chacun fuit les gouttelettes de cire. Quelques pantalons et une ou deux paires de chaussures n’y échapperont pas. Rien de grave mais là encore, les réflexes primaires, la peur irrationnelle du feu. Depuis le plafond, des spots forment des puits de lumière. Dans le public, des visages se distinguent. Sorour Darabi monte vers les cieux, chute puis se relève dans un mouvement unique. Il s’élance vers le haut en tournoyant, retombe et recommence. Il s’élève, physiquement certes, mais pas que. Inspirée de ses 3 précédentes pièces notamment Savušun, From the Throat to the Dawn cherche du côté des spiritualités pré-islamiques une collection de rituels anti-normatifs.
Sorour Darabi s’incline enfin sous la lumière. Son visage et son corps apparaissent nets. Il chante. Une voix aiguë, du fond de la gorge, modifiée par Pablo Altar. « De la gorge au crépuscule » : l’artiste a ici trouvé un état de transition permanente, une mutation dans le genre qui s’exprime aussi par la voix. Et quoi de mieux que la nuit pour exprimer cette ambivalence, espace de confidences comme de cauchemars, moment cathartique queer par excellence. Présentée il y a deux ans au Palais de Tokyo en version XXL, cette mini-messe noire conserve son intensité en format réduit. Nous voilà armés pour attendre l’aube.
From the Throat to the Dawn de Sorour Darabi a été présenté du 21 au 24 mars 2024 dans le cadre du festival Programme Commun à l'Arsenic, Lausanne
⇢ du 5 au 7 août 2024 au Festival Impulstanz, Vienne
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