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Rimini Protokoll s’évertue depuis plus d’une décennie à faire de l’éclatement des conventions théâtrales sa marque de fabrique. Avec Situation rooms (2014), les spectateurs étaient invités à déambuler dans les méandres du trafic d’armes. Dans 100% City (2008), les statistiques retrouvaient corps sur la scène à travers des échantillons de volontaires recrutés dans toutes les villes où la pièce se jouait. Avec Société en chantier, il y avait donc fort à parier qu’on ne nous laisserait pas somnoler dans nos fauteuils. Bingo : à l’arrivée sur scène, les spectateurs sont lâchés en petit groupe au milieu d’un chantier reconstitué, entre hyperréalisme – container et grue Eiffage – et plateau Playmobil à taille humaine.


Chaque groupe doit alors évoluer dans la totalité de la grande salle, du fond de scène aux fauteuils, des coulisses aux coursives de la technique, pour découvrir à chaque fois de nouvelles histoires en enfilant des casques-audio. Dans la joliment nommée Salle de l’Horizon, une société moins poétique s’organise : il n’y est plus question d’acteurs, de personnages ou de publics, mais seulement d’ouvriers sans papiers, d’investisseurs plus ou moins véreux, de chargés de développement urbain ou de lanceurs d’alerte. Les récits personnels et les points de vue des différents agents de l’industrie du bâtiment se superposent et se contredisent dans une cadence stakhanoviste, les sources de sons et d’informations abondent et rendent difficiles toute errance de la pensée, toute considération globale, même spatiale, de la situation.


Sous l’avalanche de données – fruit d’un an de recherches rigoureuses – et les directives distribuées en flux continu, Société en chantier impose un parcours physiquement et mentalement éprouvant. Deux heures durant, les consignes monopolisent l’attention et contrôlent l’usage des corps. Au fil des micro-scènes d’immersion, c’est finalement l’impression pénible d’être mécaniquement utilisé qui s’impose, à mesure que la possibilité d’articuler une réflexion autonome sur les magouilles du bâtiment s’échappe. À la fois trop documentée pour laisser indifférent ( des arguments en béton accablent les autorités – publiques et privées – des grands projets de constructions) et trop manifestement autoritaire pour permettre un déplacement intime grâce à l’expérience traversée, Société en chantier interroge avant tout sur l’efficience critique d’un dispositif qui aliène les corps sans libérer l’esprit. Et de la grande Salle de l’Horizon, on sort finalement avec le bourdon dans les oreilles et peut-être même un peu de résignation sur les mains. 


> Société en chantier de Stefan Kaegi / Rimini Protokoll a été présenté du 25 septembre au 1er octobre à La Comédie de Clermont-Ferrand. Du 7 au 10 octobre à La Filature, Mulhouse ; du 23 au 31 octobre au Théâtre Vidy, Lausanne ; du 3 au 5 décembre à La Rose des Vents, Villeneuve-d’Ascq ; du 15 au 17 décembre à la Scène Nationale d’Albi ; du 25 au 31 mars au Quartz, Brest ; du 5 au 8 mai à l’Espace Malraux, Chambéry ; le 1er juin au FIAB, Bordeaux

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