Les quatre interprètes sont déjà sur scène quand le public entre en salle. Un trio de danseurs, dont Soa Ratsifandrihana, et un musicien multi-instrumentiste prendra une part active au récit. Ils apparaissent vêtus de costumes colorés à empiècements, autant de couches de sens dont il faudra se défaire plus tard. La fierté se lit sur leurs visages, portée par un son de ukulélé. Rapidement, une mise au point s’impose : qui vient d’où ? Des îles surtout : Haïti, la Martinique, la Guadeloupe, Madagascar ; la France et la Belgique aussi. En commun, l’insularité et des identités hybrides associées à ces territoires colonisés. Face à nous donc, des descendants d’exilés, des danseurs sonorisés qui ne resteront pas muets, déterminés à contrer l’oubli et réparer la mémoire.
Ce gang, c’est Soa Ratsifandrihana qui l’a réuni. À tout juste 30 ans, la danseuse prodige a fait ses armes chez Boris Charmatz et Anne Teresa De Keersmaeker avant de chercher à émanciper sa danse du corset académique. En 2021, cette passionnée de musique cherchait la définition du « groove » dans un premier solo implacable en quadrifontral. Désormais, elle fouille du côté de Madagascar pour chercher « sa » danse. Fampitaha, fampita, fampitàna est sa première création de groupe et c’est aussi une quête des origines que documente son podcast en terre malgache, Rouge cratère. Un diptyque pour faire une traversée du « je » au « nous », raconter du singulier et du commun à travers le vécu des enfants de la diaspora.
Ce programme, le titre du spectacle l'annonce à lui seul. Le fampitaha, qui veut dire comparaison, est un ancêtre malgache du XIXème siècle des battles de danse d’aujourd’hui. Encore sous les couches des tissus, notre trio – un brin sarcastique – esquisse un pas de danse en face à face. Des duos se font et se défont sous des airs de danse de salon royal. Mais si la jeune chorégraphe cherche un ancrage dans l’histoire des danses insulaires, son corps semble porteur d’une mémoire qui le précède sans lui avoir été transmise. Car le fampita signifie « transmission » : celle de la langue, des gestes, de la culture d’origine, souvent balayées par les injonctions assimilatrices du pays d’accueil. Pour révéler cette danse organique, la musique de Joël Rabesolo joue le marabout purificateur et fait tomber les dernières couches. Et sous un riff de basse, le quatuor s’empare d’un footwork aux inspirations tantôt pop tantôt militaire.
Car Soa Ratsifandrihana met en pièces la rivalité - fampitàna en malgache - entre cultures hégémoniques et « sous-cultures ». La hiérarchie entre celles-ci n'est plus la seule modalité de lecture. Ici, on apprend à désapprendre. Chaussés des mêmes bottes argentées aux allures futuristes, chaque danseur transmet sa danse à l’autre dans un fil continu. Le geste ramène à l’enfance, au plaisir du jeu, à l'imitation de l’autre, loin des regards académiques. Leur danse une fois libérée, la discrétion n’est plus de mise. Les voilà personnages centraux de la narration, libérant un imaginaire encore bien trop eurocentré. Fampitaha, fampita, fampitàna, par sa forme, sa durée et sa liberté, ouvre une voie désirable dans les récits chorégraphiques.
Fampitaha, fampita, fampitàna de Soa Ratsifandrihana a été présenté du 25 au 29 mai dans le cadre du Kunstenfestivaldesarts au Théâtre Varia, Bruxelles
⇢ du 18 au 22 septembre dans le cadre du Festival d’Automne à la MC93, Bobigny
⇢ les 3 et 4 octobre dans le cadre du festival Actoral au Ballet National de Marseille
⇢ 10 décembre 2024 au Théâtre d’Orléans
⇢ le 24 janvier à Pôle-Sud, Strasbourg
⇢ les 4 et 5 février 2025 à la Place de la Danse, Toulouse
⇢ le 8 février 2025 aux Hivernales, Avignon
⇢ les 5 et 6 mars 2025 au Théâtre Sévelin, Lausanne
⇢ le 13 mars 2025 à La Briqueterie, Vitry-sur-Seine
⇢ du 9 au 12 avril 2025 à Chaillot Théâtre national de la Danse, Paris
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