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La lumière vient de s’éteindre dans le public. Sur une scène complètement nue, onze danseur.ses nous regardent, un sourire figé collé aux lèvres. Une silhouette se détache du groupe, esquisse un geste et nous incite à applaudir. Quelques rires dans l’assistance : le moment s’étend, délicieusement gênant. Quoi de mieux, pour une pièce qui se propose d’épuiser une figure de « grand final », que de commencer, justement, par la fin ? Il aura suffi de cinq minutes et d’une situation absurde pour que la complicité s’installe entre Silvia Gribaudi et son public : ici, on ne fera rien comme il faut, et l’on prendra même un certain plaisir à saboter les codes établis.


À mieux y regarder, il y a déjà quelques glitch dans le groupe apparemment uni. Si les vêtements noirs contrastent avec le blanc décor, une paire de santiags ici, un pantalon de flamenco là, laissent transparaître les individualités. Un mot de la chorégraphe, et les danseur.ses s’alignent dans une séquence de cheerleading scandée avec enthousiasme. Un autre, et iels se lancent dans une parodie de défilé de mode. Bien installée dans son statut de meneuse en scène clownesque, Sylvia invite ses interprètes comme son public à jouer avec elle. Tantôt obéissant.es et coopérant.es, tantôt facétieux.ses et récalcitrant.es, les jeunes danseur.ses de la MM Company la suivent, se synchronisent dans des attitudes évoquant la dynamique d’un groupe en plein entraînement sportif ou s’illustrent dans des démonstrations individuelles.



La voie du bouffon


Plein.es de finesse et d’espièglerie, iels nous tiendront pendant une heure dans théâtre burlesque, et même bouffon, sans jamais tomber dans la lourdeur. Chaque action se dévoie à travers glissements et décalages : les directives des chorégraphes deviennent des danses en elles-mêmes et les noms des pas se chantent, les jeux de mots se succèdent, d’un « pas de bourré » à un « grand jeté » où l’on fait mine de vraiment jeter quelque chose. On moque les mots vides avec lesquels on qualifie les disciplines artistiques avant de singer les poses et clichés de la mode ; on brise toutes les règles et déjoue toutes les attentes. On s’épuise joyeusement en épuisant la figure, tenant le rythme frénétique jusqu’au grand final où le ballet se danse au son d’un lac des cygnes chanté par le public, avant de s’engager dans une mécanique rouillée au son de beats électro.


On dit que le « grand jeté », ce saut qui consiste à faire le grand écart très haut en l’air, est l’un des plus techniques à réaliser, aussi complexe qu’il paraît léger. GRAND JETÉ se savoure de la même manière : sous ses airs de jeu comique, c’est toutes les conventions de représentation, dansées ou non, que le spectacle touche du doigt. En proposant une suite de variations autour d’une figure technique, Sylvia Gribaudi réussit le tour de force de présenter une pièce exigeante qui n’a rien à envier au ballet classique dont elle pirate les codes en créant un espace de réjouissance collective qui sonne, en creux, comme un appel à libérer nos corps, nos gestes et nos esprits des carcans qui les policent. Faire le grand saut ne demande parfois qu’un tout petit pas de côté.



GRAND JETÉ de Silvia Gribaudi a été présenté du 23 au 28 janvier au Théâtre de la Ville, Paris, dans le cadre de Faits d'Hiver

⇢ le 19 mars au Bateau Feu, Dunkerque ; le 22 mars au Phénix, Valenciennes ; le 28 mars à La Faïencerie, Creil dans le cadre du festival Le Grand Bain

⇢ le 30 mars au Figuier Blanc, Argenteuil

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