« On dit qu’on meurt deux fois. » En élégants kimonos fleuris, cheveux noir relevés par une coiffure sophistiquée, maquillage blanc soulignant les yeux, nos hôtes du jour professent un étrange proverbe. « La première quand notre corps s’arrête. La seconde quand notre existence disparait de la mémoire de celles et ceux qui nous ont connu. » Avant de les incarner sur la scène de la Maison de la culture du Japon, le documentariste Shingo Ōta et l’actrice Kyoko Takenaka ont rencontré les dernières geishas du pays. Car c’est un fait : celles-ci, coincées entre fantasme pseudo érotique occidental et cliché touristique, sont en voie de disparition. Des « vraies », il n’en resterait pas plus de 200 dans l’archipel, en majorité dans la région de Kyoto.
Dans un reportage en caméra embarquée, Shingo Ōta et Kyoko Takenaka ont fait la connaissance d’Hidemi. À 76 ans, cette geisha de Kinosaki est notre point de contact avec la réalité oubliée de cette tradition millénaire, à la fois art de vivre et pratique culturelle. Invitées des banquets, la rémunération des geishas était indexée sur la consommation d’alcool des clients et la règle voulait qu’elles ne refusent aucun verre offert. Leur job : servir le saké et démontrer leur maîtrise des arts traditionnels : chants, musiques, jeux et danses. Hidemi tente l’enseignement de délicats mouvements d’éventail au tandem d’artistes, ainsi que du « shachihoko », figure acrobatique jambes en l’air façon breakdance que toute geisha doit savoir faire. Sur scène, Shingo Ōta et Kyoko Takenaka la tenteront à plusieurs reprises, avec plus ou moins de succès.
Car si Les dernières geishas se donnent d’abord comme le restitution de trois années de recherches, la pièce quitte progressivement le champ du documentaire pour glisser vers la performance, accompagnée par une guitare électrique aux accents tradi. Ici une danse improvisée, là une chanson pop, puis un manifeste pour actualiser les conditions de travail des geishas, et même un battle de rap. Des réflexions émaillent ce programme : Kyoko voit dans la figure de la geisha, docile et hospitalière, l’exact opposé de son éducation féministe ; Shingo dresse quant à lui un parallèle entre danse et archivage, en écho à sa pratique de réalisateur.
Mais sous leurs airs taquins, Shingo Ōta et Kyoko Takenaka ne perdent jamais leur objectif de vue : inscrire l’art des geishas dans notre mémoire, l’actualiser, le préserver de sa disparition certaine. Car si ladite seconde mort arrive quand on oublie, toute chose ressuscite lorsqu’on en ravive le souvenir chez quelqu’un. En conclusion du show, Hidemi surgit en plateau pour former un cercle avec ses deux padawans en plateau : nul doute que le public se rappellera d’avoir vu, en chair et os, l’une des toutes dernières geishas.
Les dernières geishas de Shingo Ōta et Kyoko Takenaka a été présenté du 15 au 19 novembre à la Maison de la Culture du Japon dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
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