Crâne entièrement lisse, silhouette filiforme, presque fantomatique, il s’avance dans la lumière. Saburo Teshigawara est l’invité de la Philharmonie de Paris, venu pour mettre en gestes les notes graciles et exigeantes du Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach, interprété avec éclats par le pianiste Pierre Laurent Aimard. Accompagné sur la scène par la danseuse Rihoko Sato, sa partenaire de scène depuis 25 ans dont les poignets semblent guider tout le corps, les solos de l’un et de l’autre s’enchainent, déroulant une gestuelle fluide et limpide. Un flot ininterrompu de mouvements que l’on contemple comme on observe s’écouler une rivière.
Le Clavier bien tempéré de Bach par Saburo Teshigawara, Rihoko Sato p. Akihito Abe
Tokyoïte formé aux arts plastiques et à la danse classique, Saburo Teshigawara s’affranchit de l’héritage butô – « danse des ténèbres » née après les explosions de Hiroshima et Nagasaki – qui colle à la peau de tous les danseurs japonais. Lui, c’est dans la danse contemporaine qu’il trouve son terrain d’expression. Son objectif : « chercher une nouvelle forme de beauté ». Pour mener à bien ce vaste projet, il monte une compagnie : Karas, corbeau en japonais, avec la danseuse Kei Miyata. Le chorégraphe a rapidement su imposer son style en France en se faisant remarquer au célèbre concours de Bagnolet en 1986. Dans les années 1980 cette compétition récompense les talents de l’écriture chorégraphique, et deviendra vite un révélateur puis le catalyseur de toute une génération de danseurs. Touche à tout, il aime concevoir les moindres aspects de ses spectacles en imaginant la scénographie, les costumes et les lumières, toutes en contrastes et clair-obscur. Saburo Teshigawara approche l’art avec ses sens, jusqu’à les brusquer en dansant sur des bris de verre (2006).
La musique, s’il ne va pas jusqu’à la concevoir, a toujours été un élément moteur de sa danse. Sur la scène de la petite salle de la Philharmonie, à les regarder incarner la partition très complexe – presque scolaire – de Bach, suite de préludes dans chacun des demi-tons de la gamme, Teshigawara et Sato sont indéniablement dans leur élément. « J’ai longtemps hésité à concevoir une pièce sur Bach ou à utiliser sa musique dans mon travail chorégraphique, explique le chorégraphe. J’attendais que le moment arrive. Ce temps de maturation était nécessaire vis-à-vis d’une œuvre pour laquelle j’ai un immense respect. » À 69 ans, couronné cette année d’un lion d’or à la Biennale de Venise pour toute sa carrière, (l’équivalent en danse d’un oscar pour le cinéma) le danseur a mis son projet à exécution. Quoique répétitive et un peu lassante sur la durée, la pièce est l’occasion de voir en chair et os l’un des plus grands noms de la danse contemporaine d’une époque, et d’observer cette façon si particulière, fugace et suave, qu’il a de se mouvoir.
> Le Clavier bien tempéré de Bach par Saburo Teshigawara, Rihoko Sato, Pierre Laurent Aimard du 13 au 15 avril à la Philharmonie de Paris
> Partita n° 2 de Bach et la Sonate pour violon seul de Bartók par Saburo Teshigawara, Rihoko Sato, Sayaka Shoji les 4 et 5 mai 2023 à la Philharmonie de Paris
> Pierrot Lunaire de Schönberg et Suite lyrique d’Alban Berg par Saburo Teshigawara, Rihoko Sato et l’Ensemble intercontemporain les 11 et 12 mai 2023 à la Philharmonie de Paris
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