Ruth Childs : trop de fun tue le fun

Une bonne poilade nous sauverait-elle de l'absurdité du monde ? C'est la question que pose Ruth Childs avec sa nouvelle pièce Fun Times. Pas question de perdre une minute avant d'y répondre, la chorégraphe ouvre son spectacle par un cri de joie. Une danseuse surgit du fond de scène, se cache derrière un rideau, nous jette un coup d’œil et s’immobilise : un silence puis « hii-haa ». Aux rires de la salle, elle répond par un sourire et regagne son point de départ. Et rebelote. Quatre danseur·euses la rejoignent, tous·tes de rouge vêtu·es, tenues de fêtes à paillettes ou sequins, latex et velours. Tour à tour, chacun lance sa routine et son langage d’onomatopées. Trajectoires et sons se superposent dans une tornade de mimiques clownesques, gestes amples, pointes des pieds et marche à quatre pattes. Peu de doutes sur les intentions de la chorégraphe : on est là « to have fun » et rien d’autre.

Mais la joie n’a qu’un temps. Peu à peu, un des interprètes se désaccorde. Ni une ni deux, ses camarades le fusillent du regard et le congédient sous les rires du public. De « to have fun », on a basculé à « to make fun », donc. Mais la troupe rejoindra l’indésirable dans son malheur : bras dessus, bras dessous, tous pleurent à chaudes larmes et se réconfortent. Et ça repart : on rit, on pleure, on pleure de rire et on rit de nos pleurs.

Pour donner lieu à cette franche marrade, Ruth Childs a puisé dans la tragicomédie, tradition du XVI^ème qui tempère l’action dramatique par l’humour et un dénouement heureux. Mais la chorégraphe en pousse la logique à l’extrême et détraque la mécanique. Chez elle, les rires se font psychotiques, l’ambiance frise l’hystérie. Il faut dire que face au pic d’hostilité qui marque notre époque, les nerfs peuvent lâcher et la rigolade tourner à la décompensation collective. Et c’est pourquoi, malgré ses gesticulations circassiennes, Fun Times laisse un arrière-goût amer. Derrière cette hilarité forcée, une tension, un malaise, tiennent en haleine et nous plantent des coups de coude dans les côtes. Car on sait bien qu’il faudra plus qu’une thérapie de rire pour évacuer nos démons du moment. 

Fun Times de Ruth Childs a été présenté le 21 et 22 novembre dans le cadre de la Swiss Dance Week à l’Atelier de Paris 

⇢ du 9 au 13 avril 2025 au Pavillon-ADC, Genève (Suisse)