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« La mauvaise herbe ne meurt jamais », dit un proverbe italien. Les bad weeds de Rocio Bereguer sont peut-être de même nature. Cette verdure indésirable se retrouve partout dans la culture populaire : chez Brassens ou dans l’évangile selon Saint Matthieu et sa parabole du bon grain et de l’ivraie. Aucune connotation religieuse ou morale cependant de la part de la chorégraphe catalane et de son trio de figures hirsutes postés dans un monde déjà-là : celui de la disparition des espèces, y compris des humains. S’ajoutent à ce thème central ceux de l’invisibilité, de l’anonymat et de la bestialité que soulignent les magnifiques costumes d’Aline Pérot donnant aux danseurs un côté King Kong ou Yéti. Et l’idée de camouflage, de déguisement ou de travestissement n’a ici rien de carnavalesque.


Berenguer mise sur des valeurs plus que sur des couleurs : seul un morceau du concert, au milieu du spectacle, bénéficie de douches lumineuses dans des teintes rouges. À l’introït stroboscopique frappé de lettres capitales clignotant à vive allure succède une longue séquence où l'œil du spectateur doit accommoder pour percevoir… l’homme invisible. Dans une tirade est évoqué ce jeu de cache-cache, un jeu social aussi vieux que le colin-maillard. Les tenues unisexes de Haini Wang, Julien Moreau, Amandine Balet et Marcus Dossavi-Gourdot rappellent celles du lion peureux et de l’épouvantail du Magicien d’Oz. Mais, au lieu de repousser les moineaux, l’épouvantail ambiantal chercherait plutôt à les faire revenir sur terre. On songera aussi au Yokainoshima japonais recouvert de paille, à l’homme-cerf du Volturne et au Wren boy de Fermanagh habillé d’une meule de foin, trois des personnages photographiés par Charles Fréger ayant pu inspirer la styliste.


Cosignée par Baptiste Malgoire, Marcus Dossavi-Gourdot et Rocio Berenguer, la bande son électro-trap est amplifiée ce qu’il faut – certains diront un peu trop. Les lignes de basse sont élémentaires, les mélodies celles de jeux Tik Tok et les plages planantes rajoutent des touches pop ou dub. De la voix grave et vocodée empruntée à Rocio Berenguer, diffusée en playback, les danseurs alternent lyrics en anglais et monologues en français et espagnol écrits et dits par l’autrice, générant un néoparler sous influence américaine repris par les slogans à l’écran. 


L’invisibilité à la base de cet étrange rituel peut faire penser aux cases mobiles, coniques, en bambou, recouvertes de feuilles de bananier du zangbéto, société de masques et de « chasseurs de nuit » du sud du pays. Plane aussi la figure de l’egungun, qui ressuscite un ancêtre s’exprimant à travers lui. Ce processus à la limite du vaudou contamine la chorégraphie de ces mauvaises herbes. Hip hop gracieux, sans brisure ni anicroche, la danse est ici soumise à la musique. Elle n’a rien de virtuose mais colle au rythme, et son obstination vise à la transe.


> THEBADWEEDS de Rocio Berenguer sera présenté le 22 mars 2023 au Lieu multiple et à la Maison des Étudiants de Poitiers ; du 4 au 6 mai 2023 au Théâtre de la Ville, à Paris.

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