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Quel meilleur sujet pour plomber l’ambiance qu’une réflexion sur la mise en bière, un petit tableau comparatif des méthodes d’inhumation, ou la description détaillée des étapes de décomposition ? Les huit comédien.ne.s lauréat.e.s des Talents Adami, réunis par Émilie Rousset et Louise Hémon, opèrent un joli tour de force : nous faire rire de l’inévitable trépas, tout en affrontant les problèmes bien réels posés par la gestion de nos dépouilles.


Dans une salle de théâtre transformée en visio Zoom, les visages enjoués de quelques experts mortuaires défilent sur un écran massif posté en milieu de scène. Un anthropologue aux traits juvéniles expose les toutes dernières innovations en matière de crémation, une jeune architecte soigneusement apprêtée détaille le plan d’un cimetière bâti à la verticale, un startuper surexcité établit la fiche de poste d’un « funeral planner ». La conférence prête à rire, quand elle ne frôle pas l’indécence. Mais les intervenants, comédien.ne.s initialement postés dos au public, se succèdent derrière la toile centrale sur laquelle est projetée leur visage en live et en gros plan.



Étude comparative 


Passé l’effet de surprise, il faut bien prêter l’oreille à ces pros de la mort, à leurs exposés précis et structurés, aux notions imparables de pollution ou de surpopulation qu’ils brassent dans leurs argumentaires. Lyophiliser les corps pour éviter les émissions de gaz ou collectiviser les sépultures dans un souci d’économie spatiale : les pratiques et perspectives sont inhabituelles, les constats qui les ont motivées beaucoup moins. Avec une attention suscitée d’emblée par le dispositif de visioconférence, les fausses évidences nichées dans les pratiques de mise en terre, la solennité ou les litotes d’usage perdent de leur bien-fondé au fil des prises de parole. Ce qui coule de source pour les uns semble une aberration pour les autres. Comme ailleurs, les adeptes de l’high-tech se heurtent aux descendants revendiqués de l’animal humain, les sépultures en QR -code frictionnent avec l’humusation.


À la rigueur implacable des plaidoyers s’ajoute toute l’humanité des tics de langage, des mimiques et des expressions corporelles. Devant nous, ce ne sont pas des archétypes idéologiques ni les représentants bigots de corps de métier, mais bien des êtres complexes et singuliers. Derrière la profession, derrière le personnage, la matière récoltée par les deux auteures au fil d’entretiens de terrain suinte l’expérience, l’anecdote authentique, et l'extraordinaire banalité du quotidien dans les secteurs – traditionnels et émergents – du funéraire. Dans un élan d’intimité, un maître de cérémonie vide son sac, raconte avec passion le déroulé de ses prestations, nous parle avec simplicité de ce travail qu’il rapproche du théâtre. Et finit par confier, presque désolé d’avoir osé dévoiler les coulisses d’une cérémonie d’obsèques : « Ça fait du bien de parler, on se sent un peu seul. »

 

En lieu et place des considérations symboliques, spirituelles ou religieuses, l’approche prosaïque assumée d’entrée de jeu par Émilie Rousset et Louise Hémon offre de précieuses billes pour désamorcer tout en douceur quelques réticences et angoisses autour du gros tabou. Un peu plus tôt, le projet de cafés mortuaires où l’on viendrait à l’envie planifier son propre enterrement avait provoqué les rires dans l’assemblée. À l’issue de cette veillée théâtrale, la chose paraît indispensable.



Rituel 5 : La Mort d'Émilie Rousset et Louise Hémon

du 20 au 22 mars au théâtre Garonne, Toulouse, dans le cadre de la Constellation avec Philippe Quesne « Spectres, revenants et autres fantasmagories »

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