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« Qu’est-ce qu’on joue aujourd’hui ? » Assise sur sa chaise, Marie fait face aux cinq psychiatres en blouse blanche. Pour l’occasion, le Théâtre des Abbesses s’est transformé en salle d’hôpital – portes battantes, murs bleus, lino beige, néons blafards. Pourtant, ce service-là n’est pas comme les autres et la séance de thérapie qui attend Marie a de quoi surprendre. La patiente se racle la gorge, sonde du regard son audience de blouses blanches avant de dévoiler la scène du jour. Telle une metteuse en scène, elle distribue un rôle à chacune des thérapeutes – et ouvre une pièce dans la pièce. Dans cette première reconstitution, l’une d’elles incarne Marie, une seconde joue son conjoint, une autre donne corps au papier peint de sa chambre. Pendant quelques minutes, l’équipe hospitalière se transforme en troupe théâtrale et donne vie au souvenir de la patiente. Hôpital ou non, il n’y a qu’une seule règle en impro : on ne refuse jamais une proposition ! Pris dans l’action, l’imaginaire se délie et les souvenirs se réinventent.

 

Le jouer au lieu d’en parler : c’est tout le concept du psychodrame. Développée dans les années 1930 par un psychiatre américain, cette pratique consiste à rejouer une situation traumatique afin de la résoudre a posteriori. Des unités de ce type, il en existe beaucoup en France, avec ses thérapeutes et ses patientes, ses séances encadrées et ses moments de décompression. À chaque fois, c’est le même rituel et les mêmes questions : quelle scène, quels personnages et qui pour les interpréter ? Avec cette pièce, Lisa Guez met en lumière cette pratique encore peu estimée en France. Pendant plusieurs mois, elle s’entoure de psychiatres, les interroge sur leur travail et leur quotidien. Le résultat serait didactique ? La metteuse en scène l’assume. C’est surtout grâce au jeu des comédiennes que la pièce convainc : les personnages sont drôles, parfois surprenants, toujours touchants. Tour à tour, les six interprètes incarnent soignantes et patientes. A l’image de celle de Marie, les séances de psychodrame s’enchaînent comme des saynètes. Et ça marche comme un bon téléfilm : le public s’investit dans la vie du service et de ses patients réguliers.

 



©Jean-Louis Fernandez 



Pourtant une menace plane : les psychiatres redoutent la fermeture du centre et la fin du psychodrame. Sur scène, l’hôpital tombe littéralement en ruines, les fenêtres disparaissent une à une et le lierre grignote la peinture écaillée des murs. Manque de personnel et de budget, rythme de travail intenable pour les soignants et mise en danger des patients : la pièce reflète les grands maux de l’hôpital public. Et les coupables ont toujours le même nom : rentabilité et paperasse. Une thématique loin d’être révolutionnaire, et pourtant toujours d’actualité. « Vous n’avez qu’à faire un atelier théâtre », leur aurait répondu l’administration fictive. Et on comprend la confusion, les points communs entre arts vivants et hôpital sont si nombreux : catharsis et coupes budgétaires en tête de liste.

 


Psychodrame de Lisa Guez a été présenté du 3 au 12 décembre au Théâtre des Abbesses, Paris

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