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Il faut se mettre en mode avion pour ne pas perturber la visite guidée qui va débuter dans l’oreillette dont chaque spectateur est muni en entrant. L’espace est dépouillé : seul un cordon de lumière serpente sur le sol nu. Pol Pi nous accueille, casque de chantier orange sur la tête, bottes en caoutchouc et combinaison de travail zippée jusqu’au cou. Le performeur s’assure que tout le monde est bien installé puis donne des conseils de sécurité. Nous allons nous promener dans des conduits sombres et étroits, dont l’obscurité a été visitée il y a 13 000 ans par des êtres qui en ont gravé les parois. À l’origine de ce projet chorégraphique, la rencontre de Pol Pi avec la grotte de Combarelles en Dordogne, et les changements d’états induits chez le chorégraphe par sa fréquentation régulière du lieu.


Le chorégraphe brésilien ferme les yeux, la descente commence. Des spasmes traversent ses genoux comme des éclairs, ses deux pieds s’ancrent plus fermement dans le sol. Son attention descend en rappel le long de ses parois intérieures. À mesure que de micro-mouvements vifs parcourent son corps, on se rappelle que le chorégraphe a appris la transe cognitive auto-induite aux côtés de l'aventurière Corinne Sombrun. On s'imagine alors qu’il est en train d’inviter d’autres forces et formes à cohabiter en lui. Dans notre oreillette, la voix de Monique Veyret, guide de la grotte de Combarelles en Dordogne, détaille et décrit les silhouettes gravées sur les parois : formes animales, sexes féminins et masculins, croupe, œil, courbe de la hanche, poitrine, thorax, formes géométriques. Des parties animales, humaines et symboliques entremêlées, scrutées, analysées, classées. En écho, la danse de Pol Pi glisse dans l’incarnation vivante de ces figures appelées à cavaler dans nos imaginaires. Dans une courbure de l’épaule, une torsion du buste ou le déhanché d’un appui, des formes millénaires prennent vie fugacement dans ce corps au présent. 


Peu à peu, le voilà débarrassé de sa combinaison et sa peau nue et tatouée s’agrège au paysage. Une autre couche de la visite s’amorce. Cette peau apparaît comme surface de projection de fantasmes, support d’écritures et d’histoires vécues, et révèle même des mains négatives phosphorescentes. Plus le solo avance, plus les métamorphoses induites par la rencontre physique avec la grotte des Combarelles infusent. Laissant apparaître furtivement un cerf, un bison, un cheval piaffant, une bête aux naseaux dilatés, la danse de Pol Pi emprunte des voies de passage entre les espèces, les genres, fraye des chemins poreux via une composition chorégraphique d’une grande finesse.


Si ce corps dévoile une histoire lisible à même ses parois, l’intérieur est lui aussi convoqué comme espace pulsant, chaud, demandeur. Pénétrer et être pénétré, prendre dans sa bouche, lécher. Pol Pi avale le bout de ses doigts, puis l’entièreté de sa main. Le danseur engage de lents mouvements de va-et-vient et entre en relation avec le concave, l’humide. La gestuelle esquisse une sexualité libre, créative – et consentante. Car avant d’entrer dans la grotte, on a demandé la permission et on a formulé un vœu, sur invitation du chorégraphe : « qu’est-ce que j’ai à apprendre de toi, aujourd’hui ? » Qu’un corps est une matière qui palpite et se reconfigure sans cesse avec un plaisir apparent. À l’image de la motte de terre posée entre les jambes de l’artiste et longuement manipulée. Celle-ci devient stalagmite, utérus, pénis, roche trouée – on ne sait plus trop. Modelant les contours de son propre corps-paysage, Pol Pi nous laisse avec les images d’un corps à la fois creux et plein, qui déjoue les assignations en exposant tout le relief de sa transidentité, et s’affirme ainsi pleinement vivant.


la grotte de Pol Pi a été présenté le 26 juin 2024 dans le cadre de Latitudes Contemporaines au Grand Sud, Lille


--> du 2 au 4 octobre dans le cadre des Excentriques à la Briqueterie CDCN, Vitry-sur-Seine

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