Deux sœurs, une balade en forêt, une cueillette de champignons et une averse menaçante. Un dimanche banal, en somme. Penda Diouf et Silvia Costa y voient pourtant le moyen d’insuffler un bon vent féministe dans la tradition du conte. Fini la figure de la jeune fille en détresse parmi les ronces, le chasseur et le grand méchant loup à ses trousses : la forêt peut être un incubateur de solidarité sororale. Aux fondements de la pièce, deux sœurs : Lou-Ann et Lorine, nées à quelques mois de différence. En grandissant, la benjamine rêve d’ailleurs et quitte l’aînée restée au village natal. Cette promenade est son au revoir, un voyage multi-temporel dans une forêt de mémoires, de rêves et de non-dits – et les champis hallucinogènes qu’elles se partagent n’y sont pas pour rien.
Cape et foulard sur la tête, mains gantées et pieds bottés, le tout en latex de couleur claire : nos deux sœurs évoluent tels des personnages de Perrault dans un film de SF. Sur cette scène blanche ponctuée de cubes géométriques, d’arches et d’escaliers, elles se cherchent et se croisent mais n’échangent pas un mot. Parfois, l’une pose sa tête sur l’épaule de l’autre un bref instant, puis repart. Ici, c’est par le regard qu’on communique. Et par les gestes : l’une des jeunes filles renverse un panier d’osier et voilà le sol jonché de champignons noirs que les sœurs ordonnent comme un rituel. Une trappe ouverte dévoile un puit de lumière bleue, un portail vers l’imaginaire, vite renfermé puis piétiné. Fidèles à la tradition du conte, ces tableaux gothico-futuristes et ultra léchés filent tous la métaphore naturelle. Le mycélium, filaments qui relient les champignons, tisse le lien sororal. L’eau quant à elle, présente dès les premiers mots prononcés au début du spectacle – un « il va pleuvoir » fataliste –, est gorgée de la mémoire traumatique de l’enfance et tient dans un simple tube de verre.

Au fil de cette promenade initiatique, la sororité traverse bien des épreuves : interdépendance, séparation, frein à l’épanouissement individuel, il faudra choisir. Mais le duo Costa-Diouf honore néanmoins ce lien si unique. De plus en plus présent dans le vocabulaire féministe, le terme s’est imposé comme une alternative à l’étouffante fraternité. Les sœurs en deviennent la parabole : elles reconnaissent leurs différences, adressent les injustices qui les séparent et les zones d’ombres de leur relation, tout en se jurant soutien mutuel. Comme par ironie, c’est lorsque la pièce s’en éloigne et part à la recherche de quelque universalisme qu’elle perd en puissance. Dans une ultime tirade, le duo sororal s’adresse religieusement au public pour retracer une généalogie de la solidarité féminine. Bien que poétique, cette idéalisation n’évite pas d’omettre les injustices – raciales, sociales, d’identités de genre – qui éloignent aussi les femmes. Mais l’on ne s’arrêtera pas sur ces quelques maladresses textuelles : cet appel au partage a de quoi réchauffer le cœur quand on sait combien la désagrégation est à l’ordre du jour. Les Petits Chaperons sont sorti·es de la forêt et prêt·es à en découdre.
Sœur·s, nos forêts aussi ont des épines de Silvia Costa & Penda Diouf a été présenté 7 au 16 janvier par la Comédie de Valence, en itinérance
⇢ du 28 au 30 janvier au Théâtre Varia, Bruxelles (Belgique)
⇢ du 5 au 15 février à la MC93, Bobigny
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