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Alors que Paris vibre des after-shows de la Fashion Week, ici, aux portes d'Aubervilliers, Julia Maura et Line Gigs misent sur les larges flammes d’une forge éphémère implantée en extérieur pour réchauffer les cœurs inquiétés par l’automne qui vient. À la Station, les programmatrices de Pagaille apportent un souffle intimiste propre aux espaces où elles ont fait leurs armes : la scène squat pour Julia, Le Détail pour Line – une cave sous Belleville où elle organisait des concerts expé. 


Au fil des ans, le rendez-vous s’installe, les habitués reviennent, s’ajoutent aux nouveaux fidèles, attirés par cette recette aux ingrédients hétérogènes : sérigraphie, discussion sur les violences sexuelles en école d’art, ateliers métallurgie, concerts noise, rap, variété… Le tout sous des drapeaux fédérateurs ornés de slogans féministes et anti-flics tels que « J’ai appris à craindre la police », « Les folles s’enragent, les virils dégagent » – signés du collectif Bye Bye Binary. D’un côté, les chansons voix/piano tout en douceur et paillette de Jaj & The Family Hope, qui colore ses textes de ses racines antillaises. De l’autre, les tremblements de terre provoqués par la guitare électrique de Nina Garcia (aka Mariachi) : pédale et ampli, larsen et grincement, une corde lâche pendant le concert, qu’importe. Elle continue de triturer le son pour en tirer de la grâce, quelque part entre un Jimmy Hendrix retapant l’hymne américain et les sons étirés d’Éliane Radigue. 


Dès qu’on a cinq minutes, on flâne du côté des installations qui bordent la salle de concert. Sur un mur, des archives photos format carte postale rassemblent des gestes militants – tout bord politique confondu – signée Marianne Mispelaëre : des doigts formant une tête de loup, symbole d’une organisation ultranationaliste turque (les Loups gris), au « salut à trois doigts », signe emprunté à la saga Hunger Games par des manifestants thaïlandais pour protester contre le régime militaire de Chan-o-Cha en 2014. Si Pagaille s’intéresse aux luttes, c’est sans oublier celles qui mettent dos à dos citoyens et CRS. Avant de se mettre à chanter, Julia Maura aka oXni raconte comment l’idée d’une chanson anti-flics lui est tombée du ciel : quand elle a reçu un coup de matraque en manif contre la réforme des retraites. 



Queer à deux vitesses 


Plus tôt, c’est la performance de Naëlle Dariya qui ouvrait très justement la soirée. Dans son seule en scène autobiographique, elle joue une femme trans qui fait la pédagogie à un réalisateur réac cherchant à recruter des personnes issues des minorités pour toucher des subventions : queer, lesbienne, homme cisgenre, bi, pansexuels… Le casting se transforme en leçon décalée pour boomer plein de mauvaise foi. Chaque définition est investie de dérision : « Homme cisgenre hétérosexuel : être humain surévalué dont la principale préoccupation dans la vie est de manger de la viande rouge. » « Personne queer : se dit d’une personne majoritairement blanche, enfant de profs agrégés en philosophie qui décide, par idéologie, de vivre en squat. » 


Pour Naëlle Dariya, la révélation de sa vocation de comédienne et celle de sa transidentité ont autant, l’une que l’autre, déplacé son centre de gravité sociale, l’éloignant du destin métro-boulot-dodo auquel ses parents la préparaient, la confrontant en même temps à des habitus bourgeois qu’elle ne connaissait pas. Dans son sketch, elle expose les clichés dont pâtissent les personnes trans dans le septième art et l’ambiguïté de la visibilité queer – encore récente – dans la culture. Hors des lieux culturels inclusifs en vogue dans le nord-est parisien, les préjugés font donc toujours rage. Ce qui est consensuel ici, ne l’est pas là-bas. Et la représentativité des LGBTQIA+ dans la jeune garde artistique ne vaut pas encore pour le système télévisuel français – ce dernier assurant pourtant le divertissement quotidien d’une quarantaine de millions de téléspectateurs. 




Le festival Pagaille s'est tenu du 30 septembre au 2 octobre à la Station - Gare des mines, Paris

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