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Un abribus pour seul décor ouvre à une déambulation dans plusieurs lieux : l’accueil d’une piscine baptisée « La Baleine », une cafétéria, un centre commercial, un appartement. Le protagoniste, seul en scène, nomme les lieux qu’il ratisse et les produits de consommation qu’il convoite dans des enfilades de rayons tout en décrivant les sentiments et ressentiments qui le traversent. Dépourvu de faux-semblants, les mots brillent par leur simplicité, niaiserie ou angélisme, au choix, comme un écho à une réalité brutale et aliénante : une société de plaisir et de rendement où tous les corps ne sont pas admis, où le « simple d’esprit » est livré à lui-même, marginalisé à merci. Certains gagnent à la loterie, se gargarisent de la masse des objets qu’ils acquièrent quand d’autres restent sur le carreau. Certains comprennent les codes des sociétés contemporaines, quand d’autres sont perdus dans les codes barre et les rayons des supermarchés. Le garçon, simplement désigné par « Il » et incarné par Olivier Martin-Salvan, est solitaire, certains diraient inadapté voire psychotique. C’est dans les temples de la consommation qu’il cherche désespérément un lien social et amoureux, enchaînant les jeux concours, s’empiffrant aux dégustations gratuites, au gré de ses pulsions. Il engloutit du simple bonbon aux phrases de bienséance qu’on lui porte de la même manière qu’il se répand en une logorrhée sans ponctuation ; comprend de travers les « merci » et « bonne journée » qu’il prend pour argent comptant, surinterprète le moindre signe. Il n’est heureux que lorsqu’il est repu et palpé par les agents de sécurité. Mais voilà qu’il cherche à plaire à Leslie qui travaille à la piscine et qu’il aime en secret, sans oser se mettre à découvert, de peur de paraître « nul » aux yeux de la jeune femme.


Nul si découvert de Valérian Guillaume © Fanchon Bilbille


Accélérer la chute du monstre


Il est de ceux qui « débordent le monde », rattrapé par ses hallucinations et ses excès orgiaques. Il dévore quand il est mis au pied du mur, quand il ne peut plus se contenir, ce qui marque sa fin mais aussi sa revanche. Dans cette balance permanente entre le dedans (intériorisation) et le dehors (le réel), entre hyper sensibilité et hyper réalisme, bouffée délirante et conscience commune, beauté et disgrâce, il magnifie son monde intérieur. Contenant et contenu ne faisant plus qu’un, d’où l’importance de l’ingurgitation, de la mastication puis de la régurgitation comme autant d’allégories de la métamorphose.

Le timbre et la diction d’Olivier Martin-Salvan sont aussi excellents que son rire est fou. Sa gestuelle, précise, construit un personnage au bord de l’éclatement. Un « démon goulu », dont l’ombre est habilement portée en scène par les hologrammes vidéo-projetés de Pierre Nouvel qui transpirent l’inquiétude et le tourment. Progressivement, un personnage désenchanté prend le dessus sur la candeur de l’entrée en scène pour finir par s’anéantir dans un flot incessant de paroles, sans organisation ni hiérarchie de pensée. Dans ces zones péri-urbaines, où le jogging et le maillot de bain sont de mises, l’indésirable, relégué parmi les rebuts, est ici sur-exhibé, jusqu’à la limite du supportable. C’est là toute la force de cette pièce, qui conjugue l’hyper-texte, l’hyper-lieu et l’hyper-corps, à la fois miroir et échappatoire à une société monstrueuse.



> Nul si découvert de Valérian Guillaume, du 6 au 18 avril au Théâtre de la Cité internationale, Paris ; le 27 avril à L’arc, Le Creusot ; du 30 mai au 1er juin au Théâtre Sorano, Toulouse ; le 25 juillet au Festival de Figeac