La salle est sombre, impossible d’en deviner l’ampleur. C’est la musique qui nous parvient d’abord, un boum boum puissant. Se révèlent ensuite les néons et les panneaux de plexiglass qui découpent l’espace. Une grande forme cartonnée flotte dans l’air, un chien peut-être. Voici le terrain de jeu des huit danseur·euses que réunit l’artiste zimbabwéenne nora chipaumire dans sa création déambulatoire Dambudzo. Le Festival d’Automne lui a ouvert les portes d’une ancienne usine de caoutchouc en plein Montreuil, jamais utilisée pour ce type d’événement. Bétonné du sol au plafond, l’espace respire la bière et la fête dans une ambiance de warehouse – l’illégalité en moins toutefois.
Sans s’annoncer, quatre figures se mettent à danser timidement. Ils chuchotent, quasi inaudibles dans la musique ambiante. C’est qu’on les aurait presque raté·es en voguant à travers la foule éparse. Puis tout s’accélère. Courant l’un après l’autre, deux hommes zigzaguent entre les spectateur·rices. On perçoit de l’agitation à l’autre bout du hangar : une danse ou une bagarre. Le public suit le bruit, se déplace par steppes. Soudain, on dispute un match de foot : attention à la tête, une femme esquive de peu le ballon, amusée par la scène. Dans un autre foyer encore, ça balance des boules d’argile contre un mur, tout le monde s’y presse pour capter l’action. Puis cette frénésie s’estompe. Place à la danse. Le public se prête au jeu. La fête aurait-elle commencé ?
Il semblerait bien et on aimerait en être. Timidement d’abord, des épaules bougent dans le public, puis certains s’affirment. Une danseuse de la troupe sonde la foule du regard à la recherche d’un·e partenaire. Une femme se détache du public, sourire aux lèvres et la rejoint pour une danse d’un instant. La dynamique se renverse alors. Tour à tour le public est rudoyé, convié ou snobé. Et c’est dans cette volatilité d’attitudes que Dambudzo fonctionne : on s’y sent invité puis exclu. La chorégraphe entend reconstituer l’atmosphère d’un shebeen, lieu de convivialité comme de résistance au temps du Zimbabwe colonisé. Si la fête est belle, c’est donc parce qu’elle est fragile et menacée. Pas le temps de s’y habituer, la joie peut être matée d’un coup d’un seul. Mais les meilleures soirées sont parfois les plus courtes. Si nora chipaumire nous a bel et bien propulsés dans ce bar clandestin, l’écriture de son spectacle s’essouffle quand ses cycles se répètent. L’histoire qu’on rejoue y perd en intensité. Au climax de l’action, la troupe nous invite à les rejoindre au sol, le temps d’un cercle de chant. Voilà le public cajolé comme un enfant qu’on regrette d’avoir trop bousculé.
Pourtant, il ne l’est pas tout du long. Nora chipaumire l’interpelle, ce public, et le confronte même si besoin – gants de boxe aux mains, un danseur feint de foncer sur des membres du public avant de se figer à quelques centimètres, le regard sévère. Les romans de Dambudzo Marechera, symbole de la littérature africaine auquel le spectacle fait référence, explorent l’impact de la colonisation, travail que la chorégraphe entend poursuivre. Un tel enjeu en appelle un autre : celui de la représentation du corps noir performant son identité et son histoire face au public majoritairement blanc des arts vivants. Une gêne sûrement indépassable persistera toujours dans ce type de situation. Pour réintroduire un peu de pression après l’épisode chanté, la troupe nous quitte sur le son des Ridgebacks rhodésiens, race de chiens utilisée par les colons pour mater les populations locales. Épuisé par deux heures de performance, ce dernier tableau, vite balayé, n’ira pas au bout de ses idées. Les aboiements s’arrêtent net et les néons se rallument, révélant les cannettes de bière et la foule déboussolée – ou peut-être pas assez ?
Dambudzo de nora chipaumire a été présenté du 12 au 15 septembre dans le cadre du Festival d’Automne aux Chaudronneries, Montreuil
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