En 2007, dans une commune du Brabant Wallon, une mère de famille égorge ses cinq enfants au couteau de cuisine. Devant la justice, la trentenaire explique son geste : face à la présence toujours plus envahissante d’un riche ami du mari qui lui semblait convoiter son rôle de parent, la jeune femme au foyer s’était finalement résolue à tuer ses enfants plutôt qu’à risquer de se les faire arracher. Mais face à l’horreur, l’explication « rationnelle » n’épuise pas l’incompréhension. Après Five easy pieces (2017), reenactement de l’affaire Dutroux par des acteurs de 9 à 14 ans, le metteur en scène Milo Rau se tourne à nouveau vers un casting très jeune pour mettre en lumière un phénomène sociétal qui n’en finit pas d’accabler la pensée collective.
Le spectacle prend donc place dans un décor enfantin à souhait : une maisonnette en carton-pâte grande comme un toboggan, sur une scène ensablée. Flanqués de costumes de chevaliers, deux pré-ados se charrient à coup d’épées de bois. À la demande de leur coach, sorte de maman poule toute en care, les jeunes interprètes de Medea’s Children consentent à rejouer une nouvelle fois le drame antique. Avec des outils scéniques connus du théâtre de Milo Rau, la jeune assemblée prend la pause, visage neutre et voix monocorde, face à une caméra de cinéma embarquée. Symbole du regard adulte, la boîte noire retransmet en fond de scène les saynètes, alternant entre les tirades de Médée et celles, autrement plus inédites, d’Amandine, auteure du quintuple infanticide qui avait secoué la Belgique, ainsi que de ses parents et de son mari.

En harmonie avec le style chirurgical de Milo Rau, le détachement tranquille des enfants tranche avec la violence des témoignages. Et c’est bien là la signature du metteur en scène suisse, de pair avec la multiplication des niveaux de lecture – l’étude sociale dialogue avec la mise en abyme théâtrale. Dans les monologues face caméra, l’histoire d’Amandine creuse les échos avec Médée, princesse rejetée de tous, arrivée elle aussi à la conclusion que le meurtre de ses fils restait l’ultime moyen de les mettre en sécurité. Derrière les murs aveugles de Corinthe ou de Wallonie, voilà deux femmes dépossédées de leur autonomie qui ont choisi de se libérer par le sang. Mais dans la superposition de la fiction et du fait social, les gueules d’ange castées par Milo Rau créent le malaise : comment diantre peut-on faire jouer ça à des enfants ? Les petits acteurs nous le répètent pourtant : tout va bien, merci. Jusque dans l’acte ultime qui laissera le plateau en sang et ses protagonistes ravis, Medea’s Children excite nos mécanismes d’infantilisation et derrière eux notre peine à accorder l’autonomie de parole à nos petits protégés.

Par son rythme lent, l’impartialité des témoignages et les intermèdes d’une Médée à la barre, la relecture du mythe antique que propose ici Milo Rau ouvre une voie par-delà l’effroi et le pathos. Mais à trop multiplier les degrés de lecture, la proposition menace, sur une heure et demie à peine, de saturer les sens et d’épuiser les tentatives de compréhension. Au risque de s’en remettre, par paresse ou par étourdissement, au simple voyeurisme qui gonfle déjà les audiences de podcasts et des médias consacrés.
Medea’s Children de Milo Rau a été présenté les 30 novembre et 1er décembre au Maillon, Strasbourg
⇢ du 13 au 15 février au NTGent, Gand (Belgique)
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