À Pontoise, en ce vendredi de Novembre, ni l’air glacial ni la grève des transports de la ville n’auront réussi à décimer les rangs de la grande salle de Points Communs. Entre les sièges, une excitation devenue rare dans les salles de théâtre parcourt les groupes, et un nom fait signe de ralliement entre les âges et les mondes : ce soir, c’est du Pommerat. Après l’immersion dans les assemblées de la Révolution française (Ça ira (1) Fin de Louis, 2015) et l’hyper-réalisme merveilleux de Contes et Légendes (2019) qui ont fini d'asseoir la notoriété du metteur en scène, la curiosité est palpable à l’ouverture de Marius, première adaptation signée Pommerat.
Entre les quatre murs d’une boulangerie de quartier reproduite à l’échelle 1/1, Marius bavarde au comptoir. Pas besoin d’attendre les premières répliques pour percevoir le beguin qu’il nourrit pour la jeune femme face à lui. Dans ce décor hyper-réaliste, digne du théâtre bourgeois le plus classique, huit acteurs déroulent fidèlement l’intrigue imaginée par Marcel Pagnol en 1929. On y retrouve Marius, le fils du boulanger, tiraillé entre la succession de l’entreprise familiale, son amour pour Fanny, et ses rêves de voyage et de liberté. Côté salle, on attend le pas de côté, l’embardée vers l’étrange qui a fait la signature de Joël Pommerat. Sauf que le twist est ailleurs, dans la retenue et la fébrilité de ces grands gaillards engoncés, ici devenus le vieux boulanger éreinté, le voisin accroché à ses mots fléchés comme à une bouée, ou le magouilleur du coin, divorcé poivre et sel trop affairé pour aimer à nouveau.
Bien avant Marius, bien avant la liberté offerte par une grande scène et l'enthousiasme porteur d’une salle pleine, il y a eu les ateliers, menés à partir de 2014 par Joël Pommerat et son équipe au centre pénitentiaire d’Arles auprès de personnes incarcérées. C’est là, avec les moyens du bord et les contraintes sécuritaires, que les futurs acteurs de Marius ont fait leurs premiers pas dans le théâtre – et que le metteur en scène et son équipe découvraient l’impact de la prison sur les corps et les relations. Après Amour (2) (2022), succession de saynètes autour de l’impossibilité à communiquer, Marius offre une nouvelle tribune à ces anciens détenus devenus acteurs. Derrière le classicisme formel de Marius, c’est donc une autre histoire qui se raconte. Celle d’hommes, jeunes ou moins jeunes, marqués jusque dans leur posture par l’expérience de l’enfermement le plus littéral. Dans une société qui continue à ignorer la réalité derrière les murs de ses prisons, l’entreprise artistique engagée par Pommerat et ses acteurs met en lumière ce que la politique carcérale fait aux hommes, même une fois les murs tombés. À défaut, cette fois, de régaler les appétits esthétiques.
Marius de Joël Pommerat a été présenté du 14 au 16 novembre à Points Communs, Pontoise, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
⇢ jusqu’au 8 décembre à la MC93, Bobigny dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
⇢ du 12 au 14 décembre au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines
⇢ les 18 et 19 décembre à La Ferme du Buisson, Noisiel
⇢ du 7 au 11 janvier programmé par Les Théatres au ZEF, Marseille
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