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Le pari était osé : après le cabaret doucement punk de Raphaëlle Boitel, après le lendemain de teuf dans After all de Séverine Chevrier, Marie Molliens opère un virage à 180 degrés pour sa mise en scène de sortie d’école du CNAC. Dans BALESTRA, la promo du prestigieux établissement ouvre le bal en costumes traditionnels de Pierrot, teints blafards, fraise et pantalon à pince inclus. En parfaite cohérence avec le dress code inaugural, BALESTRA prend place dans un décor lunaire, endormi dans une pleine lumière crayeuse. Raccord avec le titre – qui désigne, dans le jargon de l’escrime, une rupture de rythme visant à surprendre l’adversaire - l’espace circulaire du chapiteau est scindé de part et d’autre par des filets sportifs surélevés, placés en écran entre scène et gradins. Dans ce terrain de jeu tiré d’un autre temps, une clique de clowns mutiques contemple le vide d’un regard médusé. Seul pendulier perturbateur, les cliquetis d’une balançoire métallique marquent le temps, charriant un.e égarée en corset, sorte de Frida Kahlo lessivée de ses couleurs.


Malgré la proximité induite par la piste sous chapiteau, cette drôle de bande postée à seulement quelques mètres des gradins semble évoluer dans un espace-temps infranchissable. Constant est le rythme de leurs déplacements, monotone l’expression hagarde qui barre leurs visages fardés d’immenses sourcils. Uniques habitants d’une bulle dont nous serions les voisins ignorés, la petite communauté monochrome quadrille son habitat, rétablissant ainsi le quatrième mur. Après un préambule de déplacements choraux, une acrobate ouvre une fuite vers les hauteurs de son mât chinois, tandis qu’une autre s’éclipse en flèche pour retrouver sa corde, suspendue à une dizaine de mètres du sol au-dessus d’un filet. Costumes et maquillages originels tombent progressivement sous l’effort, au gré des percées individuelles ou d’intermèdes collectifs dignes d’un ballet de cour.


© Christophe Raynaud de Lage


Du bruit et des jeux


En reconfigurant mentalement et matériellement l’aire de jeu, la scénographie contrebalance soigneusement l’inflexibilité des conventions du genre. C’est ici qu’une étrange bataille germe dans l’ombre, avant d’éclater en milieu de scène. En rupture avec la monotonie des Pierrots, une première explosion retentit sous un tabassage de percussions. Premier avertissement, neutralisé par la reconquête déterminée des pantins mutiques et de leurs mouvements graciles. Deuxième avertissement, par des aboiements féroces vomis dans un mégaphone grésillant. Riposte immédiate par ronds de jambes et couronnes de lauriers. Dans ce duel entre le calme et l’éclat, le délicat et l’éruptif, une certaine poésie regagne son droit de cité, engagée jusqu’à l'acmé d’une fête païenne dédiée à la communauté joyeuse, et couronnée par l’entrée en piste d’une véritable biquette. Cette joute sous la projection lumineuse d’un astre en dorures se prolongera même dans les échanges d’après-spectacle.


Aux amateurs de l’hypermodernité sublimée ou de la technicité mise en exergue, ce retour de la création circassienne - encore discrète sur les scènes contemporaines - à ses habits traditionnels pourrait sembler précitée. Mais aux amoureux de l’épure et du symbolisme, le rétropédalage acté par ce balestra littéral devrait offrir une bouffée d’air frais.



> BALESTRA de Marie Molliens avec la 34e promotion du CNAC, du 30 novembre au 11 décembre au Centre National des Arts du Cirque (CNAC), Châlon-en-Champagne ; du 25 janvier au 19 février à La Villette, Paris ; du 7 au 9 avril au Cirque Théâtre d’Elbeuf, dans le cadre du festival SPRING ; du 21 au 23 avril au Manège, Reims ; du 12 au 14 mai au Cirk’Eole, Montigny-lès-Metz, dans le cadre des Soirées d’Eole ; les 10 et 11 juin à Lyon, dans le cadre du Festival utoPistes ; du 30 juin au 2 juillet à Moroges

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