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L’immortalité. Pour notre héros, incarné par Pierre-François Garel, ce rêve partagé par une bonne partie de l’humanité devient vite une malédiction. Coincé dans une boucle temporelle, le personnage ressasse, seul sur une scène intimiste. Il ambitionne de déchiffrer les embranchements de son destin sans jamais comprendre d’où lui vient cette capacité surnaturelle. La marque de sa différence ? Il saigne des litres de sang par le nez. Audacieuse, Marie-Christine Soma propose une adaptation en clair-obscur de l’œuvre éponyme de Tristan Garcia intitulée : (Gallimard, 2015). Elle fait du dernier volet de ce roman pluriel, un laboratoire du hasard où le comédien cherche inlassablement un sens à ses vies, à vélo, à pied ou tournoyant sur les roulettes d’une chaise aux allures de capsule spatiale. La metteure en scène s’essaie à la science-fiction avec un dispositif un peu envahissant dans lequel le corps du comédien se trouve parfois empêtré. Sa voix, par contre, est un fleuve. Protéiforme, souvent chevrotante, elle devient cri tonitruant sans prévenir. Son monologue nous guide, atteint parfois des sommets mystiques. Lorsque la fureur le gagne, il dépasse le périmètre du jeu. Pendant de longues minutes, invisible dans la pénombre, l’acteur fait briller la lame d’un couteau à moins d’un mètre des spectateurs. La salle entière est électrisée.


Il faut imaginer Sisyphe fou

 

Après chaque renaissance, le héros renoue avec Fran son initiateur à l’immortalité et son âme-sœur Hardy – personnages fantomatiques tour-à-tour incarnés par Pierre-François Garel qui en imite les voix ou apparaissant sur un grand écran, portés par d’autres acteurs. Leurs relations mutent, explorent sans fin les possibilités d’une vie nouvelle. Mais la carte mémoire est pleine, son cerveau est en surchauffe et plante. Se souvenir de tout le rend fou, il naît et n’a plus rien à apprendre. Sa conscience ploie sous le poids des malheurs du monde. Il refuse une Histoire trop grande pour lui, ne supporte plus le relativisme absolu duquel il est prisonnier. Assassiner ou faire l’amour, tout se vaut. Peu importe qu’il s’engage dans la révolution ou qu’il devienne un des maillons du système capitaliste. Ulcéré, il se frappe le crâne contre une plaque de plexi et projette des centaines de CD et de journaux au sol.

  La Septième de Marie-Christine Soma © Christophe Raynaud de Lage


« La guerre et la révolution comme un coup d’épée dans l’eau. » 


En emportant le héros dans les marges de l’action politique, le texte interroge les apories de l’engagement et de la radicalisation. Le couple fuit la ville pour une vie d’autosuffisance. Ils « prennent le maquis », en opposition à un état nébuleux aux intentions sécuritaires. De ces territoires de révolte, le personnage reviendra immanquablement déçu. Fascistes, nationalistes, communistes, internationalistes, minorités sexuelles, progressistes, autoritaristes… Lorsque Pierre-François Garel conte la guerre civile qui bouleverse la France, il débite ces catégories infernales auxquelles il ne comprend plus rien. Sans connotation réactionnaire, la pièce nous parle du désarroi contemporain dans cette guerre de tous contre tous. On imagine une société si fragmentée qu’elle deviendrait illisible, si perfusée de violence qu’il serait impossible de nouer des compromis. Et puis, la cacophonie ambiante est remplacée par le silence aseptisé d’un nouveau régime. Despotique mais prospère, le pays se tient sage. Sous une administration autoritaire ou en pleine révolution, l’immortel ne comprend toujours pas où est sa place. Il erre, désabusé et cynique, goûte à une vie dispendieuse, jusqu’à commettre un meurtre de sang-froid. Il faut tout essayer admet-il en tremblant, pour retrouver la sensation d’une première fois. Soudain, en pleine diatribe, son pouvoir surnaturel l’abandonne. Plus de sang qui coule à flots des narines, le liquide rouge s’est tari. Dans cette septième vie, Hardy refuse ses avances. Il comprend que c’est la dernière et une mélancolie le gagne. Après tout : Qui suis-je si je ne suis pas celui qui ne meurt jamais ? Dépossédé du sentiment de toute-puissance, son sort rappelle le fantasme des transhumanistes les plus dévoués : liberté radicale, progrès technologique et foi absolue dans la jungle du marché. Le héros de La Septième semble avoir touché du doigt l’utopie libertarienne d’Elon Musk et ça ne fait pas rêver.


La Septième de Marie-Christine Soma présentée du 30 septembre au 15 octobre 2022 à la Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis. 

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