« Le silence c’est froid, le silence c’est mort, et le silence ça fait peur. » Ce sont les mots de Brigitte pour décrire cette surdité qui l’accable soudainement lorsqu’un matin elle se réveille et n’entend plus. Quelques sons métalliques au début, comme un disque rayé, puis plus rien. Alors il lui faut tout réinventer : son quotidien, son métier, la communication avec ses proches. Abandonner le son. Sa fille, Louve Reiniche-Larroche, fait tout le contraire : le sonore est au centre du solo qu’elle a créé avec Tal Reuveny, Sans Faire de Bruit – couronné du Prix Impatience, tremplin de l’émergence scénique. La comédienne apparaît une première fois sur scène casque aux oreilles et dépose un micro en bord de plateau avant de nous quitter. Le geste suffit à poser le dispositif : c’est le son qui guidera les opérations. Louve a recueilli le témoignage de plusieurs membres de sa famille et ces entretiens composent la fresque familiale qu’elle nous propose. Familial, le décor l’est aussi, façon salon de grands-parents : fauteuil, abat-jour à franges, tapis, table de chevet, dans des tons marron et jaune, des velours épais. Les bons vieux repas de famille ne sont pas loin.
Quand la comédienne remonte sur scène, une chaise roulante a remplacé son matériel de captation. Les enceintes diffusent la voix d’un homme âgé et Louve incarne son premier personnage : elle se voûte, prend un air fatigué et reproduit mot à mot le témoignage de son grand-père en exécutant un lip-sync au cordeau. Tassée sur sa chaise, le grand-père de Louve, qu’elle incarne, répond aux questions. L’échange est doux, taquin, la jeune fille charrie gentiment le vieil homme sur son physique. Bonne élève, la comédienne incarne tour à tour ses proches selon ce même procédé, jusqu’à ce que la machine se grippe. Peu à peu les voix se confondent et les personnages se brouillent. Dans le noir total, la voix de la mère, Brigitte, surgit alors pour raconter « l’événement ». La dégradation de son audition, les bruits parasites qui couvrent les sons du quotidien : tout est recréé sur scène. Quand les lumières se rallument, un tissu ouaté nappe la scénographie entière, reflet de cette surdité soudaine. Louve également prend la parole, en son nom propre, dans son rôle de fille attentive, et met de côté ses traits d’humour face au récit de sa mère.
Le pathos, Sans faire de bruit n’en fait pas toujours l’économie, mais n’en abuse jamais. Ici, l’humour prime. Celui qui se niche dans une gestuelle, un tic, un élément de déco. Les lèvres retroussées, une jambe par-dessus l’autre et la main qui agite l’air : la comédienne s’amuse des manières de sa grand-mère. Le son de la cigarette électronique de son frère prend la forme d’un énorme nuage de fumée en plateau. Mais si le rire est salvateur, c’est bien l’amour qui guérit le drame, semble nous dire la pièce. Et rien ne serait insurmontable dans une famille qui s’aime très fort. Sans faire de bruit se pose alors en éloge de la solidarité familiale. Le postulat peut sembler naïf, voire simpliste quand il en oublie d’adresser son privilège social – le récit prend place dans un cadre aisé. Mais les ambitions formelles du spectacle veillent à porter ce simple appel à l’entraide vers des latitudes inattendues.
Sans Faire de Bruit de Louve Reiniche-Larroche et Tal Reuveny a été présenté dans le cadre du festival Impatience du 14 au 16 décembre 2024 au Jeune Théâtre National, Paris
⇢ du 6 au 15 mars au Théâtre Paris Villette
⇢ du 2 au 4 avril à La Pop, Paris
⇢ du 21 avril au 4 mai au festival Komidi, La Réunion
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